Voilà vingt ans que Silvio Berlusconi, assis au bord de la rivière, regardait passerle corps de ses ennemis. Les candidats de gauche qu’il a étrillés ; ses dauphins désignés qui, lassés d’attendre, ont voulu précipiter sa retraite ; ses concurrents de droite qui ont rêvé de prendre sa place.
Ses adversaires en affaires. Ses anciens collègues chefs d’Etat qui lui riaient au nez mais qui ont dû quitter lepouvoir avant lui.
Umberto Bossi… en 1994, il fait tomber le premier gouvernement dirigé par le Cavaliere : il est aujourd’hui un vieil homme affaibli par un ictus cérébral. Walter Veltroni… en 2008, cet adversaire du Parti démocrate répugne à citer son nom par mépris : il écrit des romans. Gianfranco Fini… en 2010, ce concurrent de droite échoue pour trois voix de majorité à le faire chuter : il n’est pas parvenu à se faireréélire. Mario Monti… en 2011, le professeur d’économie le remplace avec la complicité des marchés, des institutions européennes et de la Banque centrale européenne : il n’a réalisé qu’un modeste 10 % des suffrages aux élections de février. De quoi se croire invulnérable.
UNE MODESTIE AFFICHÉE
Celui-là, vraiment, il ne l’a pas vu venir. Son sourire, sa bouche ourlée, ce doux prénom d’Angelino (petit ange)… Comment aurait-il pu se méfier d’Angelino Alfano, dont il avait fait son dauphin et le secrétaire général de son parti, le Peuple de la liberté, sans doute séduit par la modestie affichée de ses ambitions ?
Et pourtant, l’histoire retiendra que cet ancien démocrate chrétien, jeune avocat sicilien (43 ans le 31 octobre), dont le bras paraissait bien maigre, a tenu le couteau même s’il n’a pas été le seul à aiguiser la lame, en appelant à voter la confiance au gouvernement, contre l’avis de son mentor.
Ce petit Brutus a forcé le Caïman aux dents usées à revenir sur sa décision defaire tomber le gouvernement. Pourtant, n’avait-il pas obtempéré, avec quatre autres ministres, à son ordre de quitter le gouvernement ? N’avait-il pas, du temps où il était garde des sceaux (2008-2011), cherché à lui forger un bouclier antimagistrats quand scandales et procès s’abattaient en rafales ? N’avait-il pas avalé la fable selon laquelle « Ruby la voleuse de coeurs » était la nièce de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak ? Ne défilait-il pas encore, il y a six mois, avec son écharpe de député devant le tribunal de Milan pour dénoncer les « juges rouges » ?
UNE PASSION INTACTE
Mais le 1er août, tout change. M. Berlusconi est définitivement condamné à quatre ans de prison (réduits à un an en raison de diverses amnisties). C’est assez pour que M. Alfano prenne ses distances avec son mentor. Il a calculé : cette peine entraînera la déchéance de l’ancien président du conseil. Elle est assortie d’une période d’inéligibilité de six ans : 77 ans + 6 = 83 ans. C’est l’âge qu’aura Silvio Berlusconi quand il pourra de nouveau prétendre à un mandat électif. Est-il encore le bon cheval ?
Alors que les « faucons » poussent le Cavaliere à tout faire pour retarder l’échéance au risque de prendre l’Italie en otage, M. Alfano se place dans le camp des « colombes ». Les premiers veulent sauver la « marque Berlusconi » et caressent l’idée que Marina Berlusconi, la fille aînée du milliardaire, puisse succéder à son père. Les seconds sont déjà projetés dans la reconstruction du centre droit.
M. Berlusconi aurait dû mieux regarder la carrière de son pupille, fils d’enseignants. Son père Angelo a été conseiller municipal puis maire adjoint d’Agrigente. Angelino, passionné de politique (il a consacré sa thèse de droit aux partis), adhère au mouvement des jeunes de la Démocratie chrétienne, qui périclitera quelques années plus tard sous les coups de boutoir de l’opération « Mains propres ». Mais sa passion reste intacte. Il a 23 ans lorsque M. Berlusconi fonde Forza Italia. Il y adhère immédiatement. Un bon choix.
UN ENFANT PRODIGE
Deux ans plus tard, il est élu conseiller régional de Sicile, puis président de groupe. Il est serviable et passe pour être compétent et poli. Il se fait remarquertrès vite par les deux hommes forts de Forza Italia en Sicile : Gianfranco Miccichè et Marcello Dell’Utri, qui ne tarissent pas d’éloges sur l’« enfant prodige ». Sa réputation arrive aux oreilles du Cavaliere. En 2000, à 30 ans, il est élu pour la première fois député. M. Berlusconi lui ouvre d’abord un bureau juste à côté du sien dans sa résidence du Palais Grazioli à Rome, puis les portes du gouvernement en 2008.
Le petit ange a su faire oublier qu’il était ambitieux sous ses allures modestes. Qui se serait méfié d’un homme qui a épousé sa copine de lycée et écoute de la variété italienne ? Une anecdote : quand M. Berlusconi lui conseille de masquer sa calvitie naissante par des implants capillaires, il réplique : « Je n’ai pas les moyens. La politique me coûte assez cher. » Comme il le dira le 29 septembre, Angelino Alfano était déjà « diversement berlusconien ».