Adjal Lahouari
Jamais à court d’idées, les médias anglais ont «tripatouillé» à leur guise le sigle UEFA en ôtant le E et le remplaçant par la lettre K. Ça donne United Kingdom Football Association.
Une manière forte pour exprimer leur euphorie avec la présence de quatre équipes anglaises dans les deux compétitions de club européennes. Un journal espagnol a même eu l’idée de titrer : « Le football n’a que faire du Brexit », allusion aux éventuelles conséquences sur le football anglais. Le premier vainqueur de la « coupe aux grandes oreilles » n’est autre que la belle équipe de Sir Alex Fergusson en 1968. Il a fallu attendre onze ans pour enregistrer la seconde victoire, avec Liverpool en 1977. A partir de là, il y a eu une période faste du football anglais, avec sept succès signés consécutivement Liverpool (4 trophées), Nottingham Forest (2) et Aston Villa (1). Depuis cette période, seuls Manchester United, Liverpool (2005) et Chelsea (2012) ont sauvé l’honneur du football outre Manche.
Avec 13 trophées (Liverpool 2019), l’Angleterre a dépassé l’Italie cette saison. L’Espagne se trouve en tête avec 19 coupes, 14 grâce au Real Madrid (14) et au FC Barcelone (5). L’Allemagne, par le biais du Bayern Munich (5 coupes), doit se contenter de la quatrième place. Ces quatre nations se sont donc taillées la part du lion avec 50 trophées. Seuls Benfica, Porto, Marseille, Steaua Buccarest, PSV Eindhoven, Celtic, Hambourg et Ajax sont parvenus à se faire une place au soleil au milieu de cette razzia. Liverpool, le plus titré des clubs anglais, arbore désormais six sacres, et pourrait fort bien enrichir son palmarès. Alors, fatalement, ou en arrive à se poser la question : le football revient-il au pays de ses origines ?
Le berceau du football moderne
Les historiens nous ont appris que le football, sous différentes formes, existait déjà depuis l’Antiquité, en Chine, au Japon, en Grèce, en Italie et en France. Selon ces chercheurs, les Berbères l’ont également pratiqué sous le nom d’« El Koura », en lui octroyant le pouvoir de lutter contre la sécheresse. D’autres historiens ont affirmé que ce sont les soldats de César qui ont importé « l’harparstum » en Angleterre. Il n’en demeure pas moins que l’Angleterre est bel et bien le berceau du football moderne. A l’origine, le football-rugby était une discipline unique jusqu’en 1863, lorsque la scission s’est réalisée avec la création de la Football Association, le rugby prenant le nom d’un célèbre collège. En ce temps- là, le rugby attirait les aristocrates et les gens fortunés, tandis que le football constituait le principal délassement des ouvriers après une dure journée de travail. Avec l’apparition de la télévision et des produits de consommation, « le jeu des pauvres » s’est enrichi par la multiplication effarante des clubs, des compétitions nationales, continentales et mondiales. Chaque discipline a suivi son chemin, et le football a fini par asseoir son écrasante suprématie, à tel point qu’il est qualifié de sport-roi, celui qui provoque les plus grandes émotions, déchaine les foules, et même une guerre entre deux pays, le Salvador et le Costa Rica.
Aujourd’hui, les sociologues sont d’accord pour dire que le football est un phénomène de société à nul autre pareil, subjuguant des milliards de fans de par le monde. Les dernières régions du globe rétives auparavant comme les USA et le Canada, ont été également envahies par le football. Grâce à leur « splendide isolement » suite à leur retrait de la FIFA entre 1929 et 1950, les Anglais se considéraient comme les meilleurs du monde, étant invaincus sur leur sol. Ils perdront leurs illusions en 1953 face à l’inoubliable équipe de Hongrie des Puskas, Koscis, Boxzik, Grosics, Hider Kuti et Czibor, qui leur a infligé une leçon de football dans leur propre fief (6 à 3). C’était la fin du mythe de l’invincibilité des Anglais, un outrage mémorable dans le temple sacré de Wembley ! Refusant de se rendre à l’évidence, ils ont évoqué la thèse de l’accident. « Lors du match retour à Budapest, nous allons prendre notre revanche », ont-ils clamé haut et fort. Or, dans la capitale hongroise, ce fut un cinglant camouflet, une autre exhibition de football de la part des artistes magyars et un 7-1 historique. Depuis cette époque, les sujets de Sa Gracieuse Majesté se sont rendu compte qu’ils n’étaient plus les maîtres du jeu à onze, et que leur statut de créateurs de football ne constituait aucune garantie face aux autres nations européennes et sud-américaines.
Apport étranger
Après ce remarquable tir groupé en Ligue des champions et l’Europe League, est-ce qu’on peut dire qu’une nouvelle ère vient de s’ouvrir ? Ces derniers temps, tous les experts se posent cette question. Le football étant devenu une véritable industrie, le système anglais est actuellement le plus florissant grâce à la faramineuse manne financière des chaînes de télévisions, du sponsoring du soutien d’Etats, d’oligarques et de la publicité. Les deux Manchester, Liverpool, Chelsea, Arsenal et Tottenham disposent de moyens dont les retombées se font sentir au fil des saisons. Seuls les gros du continent européen, le Real Madrid Barcelone, Juventus, Bayern et Paris SG sont en mesure de lutter contre les clubs anglais, mais pour combien de temps ? C’est que le championnat anglais attire les grands joueurs de toutes les nationalités ainsi que les meilleurs entraineurs. C’est donc sans surprise que les joueurs anglais constituent la minorité des effectifs. Liverpool, heureux vainqueur de l’édition 2019 de la Ligue des champions, compte en son sein 15 étrangers, un peu moins que les deux Manchester (17 chacun). A Tottenham, il y a 16 étrangers.
Au sein d’Arsenal et de Chelsea, ils sont légion. A une certaine époque, le coach français Arsène Wenger n’utilisait aucun Anglais ! Si cette situation fait le bonheur des fans anglais, ce n’est pas le cas du côté des entraîneurs de l’équipe nationale, les étrangers prenant fatalement plus de place dans les effectifs des clubs de la Premier League. On peut dire donc, qu’à l’instar des clubs du continent fortunés, les équipes anglaises ont bénéficié des conséquences du fameux arrêt Bosman qui a libéré les transferts, auparavant limités à trois étrangers. On ajoutera que, depuis 2001, les droits TV sont distribués en fonction de la puissance économique du championnat. Or, la Premier League est en tête dans ce domaine. On relèvera un constat très significatif. En 1970, le Celtic (Ecosse) et Feyenoord (Pays Bas) jouaient la finale. Cette saison, ils ont été balayés en phase de poules. Décidément, les temps ont bien changé.
Les gros font la loi et vont même accentuer leurs privilèges auprès d’une UEFA coincée entre le marteau et l’enclume. Si cet organisme ne fait pas de concessions, les clubs les plus puissants seront tentés de créer une ligue fermée. Or, ce sont ces clubs qui constituent la vitrine du football européen et font le spectacle. D’ailleurs, le projet des nouvelles compétitions européennes est bien avancé, malgré le refus catégorique de plusieurs fédérations, dont celles d’Espagne, d’Allemagne et de France notamment. Les grands clubs vont assurer leur pérennité, tandis que les autres se contenteront de rêver.
Conçu à sa naissance comme un délassement, le football est devenu une énorme industrie qui brasse des sommes faramineuses.