Anissa Boumediène «Les paroles de Ali Kafi sont justes»

Anissa Boumediène  «Les paroles de Ali Kafi sont justes»

Quel regard porte la veuve du défunt président Houari Boumediène sur le débat et la polémique qui ont fait suite à la publication du livre Amirouche : une vie, deux morts, un testament de Saïd Sadi ? Comment réagit-elle aux déclarations des uns et des autres sur l’écriture de l’Histoire ?

Ce sont les questions que nous avons posées à Anissa Boumediène, présente dans les salons de l’Unesco, lors de la réception donnée par la délégation algérienne fêtant la consécration de Rabah Madjer, en tant qu’ambassadeur de bonne volonté de cette institution.

L’exercice n’a pas été très facile, tant il nous a paru que l’ancienne première dame était loin du tumulte actuel inhérent à l’écriture de notre histoire et que, manifestement, elle n’a pas lu l’ouvrage ayant enclenché le débat. Elle avouera d’ailleurs elle-même, d’entrée de jeu, qu’elle vit ici, en France, et qu’elle n’a pas suivi ce débat. Toutefois, avec beaucoup d’amabilité mais aussi beaucoup de colère, elle a répondu à quelques questions de notre journal.

De notre bureau de Paris,

Khadidja Baba-Ahmed.

Le Soir d’Algérie : Que pensez-vous du débat actuel sur l’écriture de l’Histoire et particulièrement sur le rôle controversé de votre défunt mari durant la guerre et lors de l’exercice de ses fonctions en tant que président ?

Anissa Boumediène : Je trouve que ce qui a été dit à propos de Boumediène est scandaleux parce que tout ceci montre que ces personnes n’ont jamais pris connaissance par elles-mêmes des archives de la République algérienne, ce que moi, j’ai fait.

Sauf qu’il n’est pas donné à tout le monde d’accéder à ces archives…

Alors qu’on se taise et que l’on ne dise pas des idioties et des choses très graves sur des gens qui ne sont plus là et qui ne peuvent même pas rétablir la vérité et se défendre. Le président Boumediène disait toujours que l’histoire de l’Algérie doit être écrite à la lumière des documents d’archives et il savait très bien ce que cela voulait dire. J’émets d’ailleurs le vœu que ces archives soient accessibles aux chercheurs algériens.

Lorsque j’ai eu à écrire, il y a quelques années dans le Soir d’Algériesur le bilan de Boumediène, que je considère comme tout à fait satisfaisant, je m’étais appuyée sur les rapports de la Banque mondiale, du FMI et d’un certain nombre d’organismes internationaux. Je trouve qu’écrire sur l’Histoire est d’une grande responsabilité et qu’il ne faut pas, comme malheureusement on le voit trop souvent dans notre pays, écrire sans prendre connaissance des documents d’archives.

Mais en l’occurrence, et pour ce qui a provoqué le débat, l’auteur du livre, Saïd Sadi, s’est appuyé sur des documents et mieux encore sur des acteurs encore vivants de la révolution. Le fils de Amirouche a d’ailleurs corroboré le contenu de l’ouvrage.

Le fils de Amirouche, je le regrette, n’était pas du tout vivant au moment des événements qui se sont passés. Il ne fait que véhiculer et répéter ce qu’ont dit certains et c’est bien regrettable parce que ce sont là des jeunes qui sont induits en erreur. Moi j’ai eu les archives de la Révolution algérienne. La réunion des Dix qui a regroupé les principaux chefs militaires de la guerre (référence à la tenue à Tunis en août et septembre 1959 des principaux chefs militaires de la révolution, dont Boumediène) qui a duré trois mois et qui a été la réunion la plus importante de la Révolution algérienne, parce qu’elle a mis cette révolution sur les rails et que beaucoup de vérités y ont été dites, eh bien, à son propos même des écrivains comme Mohamed Harbi ont malheureusement consacré qu’une ligne ! Pour illustrer mon propos sur les mémoires, un jour, quelqu’un qui a participé aux accords d’Evian a écrit ses mémoires et y dit, entre autres, «moi au cours de la réunion du CNRA, j’ai dit, j’ai dit et j’ai encore dit …»

Lorsque j’ai eu à comparer ses propos avec les archives de la réunion du CNRA qui a précédé la signature des accords d’Evian, j’ai vu qu’en réalité tout ce qu’il a prétendu avoir dit n’en était rien et j’avais alors souligné ce fait dans un article paru alors dans Algérie Actualité.

A la suite de la publication du livre de Saïd Sadi, Ali Kafi, par exemple, dénie à Sadi d’écrire sur l’Histoire déclarant, entre autres, que l’auteur, parce qu’il est psychiatre et pas historien, «n’a pas le droit d’écrire sur l’Histoire». Que pensez-vous de cette déclaration ?

C’est une parole juste. Au moins que ceux qui veulent écrire sur l’Histoire, le fassent à la lumière des documents d’archives. J’ajouterai qu’il faut connaître à fond le français pour lire tous les documents.

K. B.-A.