Apple-Samsung : les raisons de la colère

Apple-Samsung : les raisons de la colère

Dans le dernier épisode judiciaire qui oppose la firme de Cupertino au chaebol sud-coréen sur les brevets, la justice américaine a eu, semble-t-il, du mal à trancher et a choisi de condamner les deux firmes, dans des proportions certes fort différentes. La « guerre des brevets » que se livrent les deux géants commence à lasser, et surtout, elle interroge sur les menaces que peut faire planer ce type de procédure sur l’innovation technologique.

Que reste-t-il à trancher dans le dernier procès ?

Le jury qui a condamné, vendredi 2 mai, Samsung à une amende de 119 millions de dollars, pour violation de trois brevets d’Apple, doit encore trancher sur le montant des dommages et intérêts que le coréen devra verser à l’américain sur un point précis de la procédure, qui touche le téléphone Galaxy SII.

La violation de brevet sur ce produit n’a en effet pas été prise en compte dans le calcul de la somme à verser à Apple par Samsung, et les magistrats ont donc prié le jury de se remettre au travail afin que toutes les violations de brevet soient financièrement compensées. Au final, le montant à payer par Samsung devrait donc être un peu plus élevé que les 119 millions prévus. Apple a lui aussi été condamné sur une violation de brevet, mais ne devra verser que 158 000 dollars.

Qui a gagné ?

Difficile à dire, d’autant plus que ces condamnations font quasi systématiquement l’objet d’appels qui permettent souvent de diminuer les sommes. Et même si Apple a remporté cette dernière manche, le montant de l’amende et des compensations à verser n’est pas si élevé en regard des condamnations précédentes et surtout, elles semblent sans effet sur le bulldozer Samsung, qui continue à grignoter des parts de marché au détriment d’Apple et de ses autres concurrents, que ce soit sur les smartphones (320 millions d’unités vendues par Samsung en 2013, contre 153 millions pour Apple) ou les tablettes.

Par ailleurs, les brevets en question ne sont pour certains plus utilisés, d’autre part le coréen a largement la trésorerie nécessaire (autour de 47 milliards de dollars) pour s’acquitter de ces condamnations. Au final, c’est peut-être Google, développeur de l’OS Android qui équipe les téléphones Samsung, qui s’en sort le mieux dans cette bisbille juridique, commentaient les médias spécialisés ce week-end. Samsung a notamment fait valoir que Google travaillait sur ses fonctionnalités de son côté. Le moteur de recherche s’est joint à la défense du coréen et a promis une indemnisation de Samsung sur deux violations de brevet, mais celles-ci n’ont pas été reconnues comme telles par la justice. Pour l’instant, Google s’en sort donc sans aucun dommage.

Quels sont les enjeux aux origines du conflit ?

Le litige porte sur un panel de brevets déposés par la firme à la pomme, qui estime que Samsung s’est allègrement servi dans son portefeuille pour développer ses smartphones et leurs fonctionnalités. Tous les gestes exécutés chaque jour sur un smartphone – défilement des applications, auto-correct, « swiper pour débloquer », « pincer pour zoomer », etc. – sont en effet le produit d’une technologie particulière qui fait l’objet d’un brevet.

Les procès concernent entre autres les brevets dits FRAND (pour Fair, reasonable and non-discriminatory), une spécification mise au point au début des années 1990 pour les technologies nécessaires au déploiement d’une norme, et qui contraint ses détenteurs à n’exiger que des royalties raisonnables pour l’usage par des tiers. Sauf que, depuis, de nouveaux entrants ont fait irruption sur la scène de la haute technologie internationale, particulièrement sur la téléphonie mobile, et conduit les détenteurs de brevets à demander une revalorisation de leur rétribution.

Quels sont les dommages collatéraux de ces procès en série ?

Pour certains commentateurs, l’innovation et les investissements sont les principales victimes de cette lutte qui paraît de plus en plus stérile. En effet, il est possible que les industriels regardent à deux fois avant de dépenser de l’argent pour développer une technologie dont ils ne sont plus sûrs de pouvoir protéger l’usage.

Apple et Samsung ne s’affrontent pas qu’entre eux, ils ont chacun plusieurs procédures en cours avec d’autres constructeurs ou développeurs, et la « guerre des brevets » ne concerne pas non plus que l’informatique, mais des domaines très variés de l’économie. La multiplication des « patent trolls », ces sociétés qui achètent des portefeuilles de brevets pour mieux attaquer leur violation devant les tribunaux et encaisser, au passage, de juteux dommages et intérêts, en est la meilleure preuve.