INES DALI
Quatre mois se sont écoulés depuis le début de la contestation populaire pacifique. Une contestation qui, au fil du temps, s’est transformée en un véritable moment révolutionnaire… mais ! La détermination du peuple à opérer pacifiqument un changement total du système et à rompre le cordon avec des pratiques qui ont sévi, à des degrés différents, depuis l’indépendance, n’a pu être ébranlée, et aucune diversion ni aucune tentative de récupération n’ont pu venir à bout.
Inlassablement, les Algériens, qui se sont dressés comme un seul homme, le réitèrent tous les vendredis, depuis le 22 février, en exprimant leur rejet du système, ainsi que le départ de tous ses symboles, sans aucune exception. En guise de réponse, le pouvoir actuel, incarné par le commandement de l’armée, réitère lui aussi la solution qu’il préconise «constitutionnelle» et ne devant, sous aucun prétexte, dévier de la Loi fondamentale, la priorité étant, selon lui, d’organiser une élection présidentielle «le plus tôt possible», et l’objectif étant de prémunir le pays contre «un vide constitutionnel et institutionnel» dont l’issue pourrait laisser place à «l’anarchie».
Donc l’issue à la crise politique dans laquelle se débat le pays depuis quatre mois, telle que prévue par le pouvoir, tourne autour d’un point focal : l’élection présidentielle.
Une option qui divise et sur laquelle reste partagée une partie de la population, des organisations de la société civile et de la classe politique. Et chaque partie, loin de se suffire du simple rejet de la solution de l’autre, appuie sa position par une argumentation.
Les uns étant pour une période de transition au cours de laquelle seront revues, au moins, la Constitution et la loi électorale qualifiées de lois scélérates, les autres étant plutôt pour que ces «réformes» soient menées en tant de «paix» par le futur président élu démocratiquement. C’est dire que la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui reste encore loin d’un consensus tant les solutions proposées s’éloignent fondamentalement, de plus en plus, au lieu d’un rapprochement. Ce qui ne fait qu’amplifier l’intensité de la crise et creuser plus profond le fossé de la discorde.
Mais avant de déblayer le terrain pour une solution ou une autre, s’il y a une chose sur laquelle il y a consensus, c’est l’ouverture d’un dialogue que le pouvoir présente comme un passage obligé pour une sortie de crise. Mais faut-il relever que jusqu’à présent, le consensus ne va pas plus loin que sur le titre générique de «dialogue».
Car là encore, faut-il savoir comment et par qui celui-ci devrait-il être mené et animé ? Les contours d’un dialogue constructif restent encore flous et, du côté du pouvoir comme de celui de l’opposition (opposition en général et pas seulement politique), des préalables sont mis en avant pour aller à une concertation. Des divergences persistent sur la façon dont il faudra dialoguer et ni les partis ni les personnalités nationales ni les autres organisations n’ont démontré une quelconque disposition à aller dialoguer sous la houlette du chef de l’Etat intérimaire Abdelkader Bensalah et son Premier-ministre Noureddine Bedoui, ces deux «B» étant disqualifiés depuis le début de leur installation dans leurs fonctions, car assimilés à des symboles du système décrié.
Un durcissement qui accentue la crise
L’intransigeance du pouvoir à aller vers une élection présidentielle précédée d’un dialogue dans les conditions qu’il a choisies se heurte à l’intransigeance de l’opposition qui veut une élection après une assemblée constituante et un dialogue selon ses propres préalables. Un état de fait qui accentue la crise politique qui semble ne pas trouver de dénouement, mais à laquelle, pourtant, il faut «une solution politique», de l’avis de tous les acteurs qui sont intervenus sur le sujet (juristes, politologues, personnalités, etc.). Ces derniers ont, à maintes reprises, réitéré que face à la limite du tout-constitutionnel, il existe une solution politique qui ne saurait éloigner le pays de la Constitution. Celle-ci se baserait sur l’application des articles 7 et 8 de la Constitution pour consacrer la volonté populaire tel que promis par le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah il y a près de trois mois, au lieu de rester prisonnier du respect stricto-sensu du seul article 102 qui a fait son temps.
Quoi qu’il en soit, le peuple a eu son mot à dire lui aussi et a «voté» plusieurs vendredis de «ne pas aller voter» à la date du 4 juillet. Il s’est, lui aussi, montré intransigeant en refusant un scrutin organisé hâtivement, à telle enseigne que le pouvoir a dû, en définitif, y renoncer.
Le peuple ne se laisse plus intimider et réplique, à sa manière, à travers les slogans et les pancartes brandis chaque vendredi et devenus son moyen d’expression depuis le 22 février. D’ailleurs, il a répondu avec «sagesse» et «détermination» ce vendredi 21 juin au dernier discours du chef d’état-major qui a mis en garde contre l’utilisation d’emblèmes autres que l’emblème national durant les marches. Le peuple, en scandant que tous les Algériens sont «khawa khawa», n’a pas cédé sur cette question et a brandi, à travers tout le territoire national l’emblème amazigh aux côtés du drapeau national.
C’est dire que Gaïd Salah, avec son discours, a provoqué le courroux de tout un peuple qui, pourtant, a su rester vigilant et répondre pacifiquement.
Etait-il utile de rajouter de l’huile sur le feu et créer une crise identitaire qui se serait greffée à la crise actuelle et l’aurait aggravée, se sont demandé les Algériens. Le résultat est là : encore un pas en arrière pour accentuer la crise au lieu d’avancer vers une solution. Certains disent même que c’est une sorte de diversion pour que le peuple s’occupe d’«autre chose» que de la situation politique «pure et dure». Quoi qu’il en soit, quatre mois sont passés depuis la sortie du peuple revendiquant le changement pour une vie meilleure et malgré tout le branle-bas de combat auquel on assiste, c’est pourtant le statu quo en ce qui concerne le règlement de la crise…