L’obstination du pouvoir à continuer à tourner le dos aux aspirations des Algériens est porteuse de périls pour le pays. Va-t-il persister dans la voie qu’il a empruntée, celle qui risque de se révéler sans issue ?
Les titres de la presse qui continuent encore à couvrir les marches et les réseaux sociaux rivalisaient samedi d’ingéniosité pour décrire les manifestations du 31e vendredi. “Tsunami humain”, “Gigantesque”, “Impressionnant”, “Démonstration de force”, “Forte mobilisation”, “Le second souffle du hirak” ou encore “Pari réussi” sont autant de qualificatifs utilisés pour tenter de restituer le degré de mobilisation qui a marqué les manifestations de ce 20 septembre.
Peu avaient prédit un tel sursaut d’orgueil des Algériens, surtout après le discours au ton “belliqueux”, aux yeux de certains, du chef d’état-major de l’armée prononcé mercredi dernier à Tamanrasset. “(…) Nous avons constaté sur le terrain que certaines parties, parmi les relais de la bande, aux intentions malveillantes, font de la liberté de déplacement un prétexte pour justifier leur dangereux comportement, qui consiste à créer tous les facteurs qui perturbent la quiétude des citoyens, en drainant chaque semaine des citoyens venus de différentes wilayas du pays vers la capitale, afin d’amplifier les flux humains, dans les places publiques, avec des slogans tendancieux qui n’ont rien d’innocent que ces parties revendiquent.
Leur véritable objectif est d’induire l’opinion publique nationale en erreur avec ces moyens trompeurs pour s’autoproclamer fallacieusement comme les porte-voix du peuple algérien. À cet effet, j’ai donné des instructions à la Gendarmerie nationale pour faire face avec fermeté à ces agissements, à travers l’application rigoureuse des réglementations en vigueur, y compris l’interpellation des véhicules et des autocars utilisés à ces fins, en les saisissant et en infligeant des amendes à leurs propriétaires”, avait, en effet, déclaré Gaïd Salah.
Du coup, beaucoup redoutaient un fléchissement du mouvement, voire d’éventuels dérapages. Mais c’était compter sans la détermination des citoyens à maintenir la flamme du mouvement et à en découdre avec un régime plus que jamais sourd aux cris des millions d’Algériens, d’ici et d’ailleurs, et irrémédiablement réfractaire à toute idée de changement. Non seulement les barrages dressés aux portes d’entrée à Alger se sont révélés inopérants, mais le discours semble avoir joué un rôle catalyseur. Pas moins de quarante wilayas du pays ont ainsi pris part aux manifestations.
C’est que la tentative d’empêcher des Algériens d’aller à Alger est vécue comme une nouvelle offense et un nouvel affront, comme en témoignent ces traits d’esprit qui ont foisonné sur la Toile. Comme pour signifier aux tenants du pouvoir que la ligne ferme choisie est rejetée, les citoyens ont scandé des slogans qui ne laissent guère de doute sur leur intention à bouder le prochain scrutin. Gaïd Salah, qui incarne le pouvoir réel, va-t-il consentir à changer son “plan de bataille”, maintenant que toutes les recettes essayées se sont révélées vaines ?
Ni l’incarcération de ce qu’il désigne par le vocable de “îssaba”, dont les membres ne sont pas tous identifiés, ni le pari sur l’essoufflement du mouvement, ni le contrôle des médias et, plus récemment encore, la mise sous les verrous d’activistes politiques n’ont eu raison de la détermination du mouvement à faire aboutir sa principale revendication : le changement de système à travers l’organisation d’une transition.
Va-t-il concéder à reporter l’élection, comme le préconise Soufiane Djilali, en retournant à un véritable dialogue “global et inclusif pour une solution consensuelle”, selon une formule du FFS, et en prenant des mesures d’apaisement ? “Les Algériens attendent la libération des détenus politiques et d’opinion, l’ouverture des médias, le départ du gouvernement actuel. Maintenant, il ne s’agit pas de l’avenir d’un homme, mais de l’État algérien”, estime le président de Jil Jadid.
Ou, à l’inverse, va-t-il persister dans la même démarche ? Si les contradictions au sein du régime, conjuguées aux pressions étrangères, déterminent dans une large mesure les choix politiques pour tenter de sauver un système en déliquescence avancée, comme le traduit la situation du FLN, dont des responsables sont sous les verrous en attendant d’autres, l’obstination du régime à continuer à tourner le dos aux aspirations des Algériens est porteuse de périls dont le pays ferait bien l’économie. En tout cas, ce vendredi aura montré que la peur a changé de camp.
Karim Kebir