Houria Moula
Le 19e vendredi des manifestations pour le changement du système a connu des dérapages. Le dispositif sécuritaire déployé par le pouvoir, décidé semble-t-il, à étouffer la mobilisation populaire, s’est soldé par plusieurs arrestations, jusqu’à présent injustifiées. Ce que l’on sait, c’est que l’ensemble des personnes interpellées, dont certaines pour port de l’emblème amazigh, à l’image de l’élue RCD de l’APW de Tizi Ouzou, Samira Messouci, seront présentées aujourd’hui devant le juge.
Cette vague d’arrestations a provoqué la colère d’acteurs et de partis politiques qui ont dénoncé l’attitude des autorités. Le président du RCD, Mohcine Belabbas, s’est élevé contre le fait que « le pouvoir ait envoyé, comme tous les vendredis, sa police » pour encercler le siège du parti, « allant jusqu’à interpeler des élus ». « C’est une honte et c’est irresponsable de la part de quelqu’un qui se veut le sauveur de ce pays», a lâché Belabbas, parlant du chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah. Mais, ce dernier « doit comprendre », explique le chef du RCD, que « ce n’est pas de cette façon qu’il arrêtera les Algériens, déterminés à aller de l’avant dans leur révolution jusqu’à faire tomber le régime ».
À travers ces arrestations, « le pouvoir cherche à affaiblir la mobilisation », a mis en garde Mohcine Belabbas, rappelant les procédés «de la fermeture du tunnel, aux arrestations, à l’histoire du drapeau et aux attaques contre les partis ».
Dénonciation unanime
Pour sa part, le FFS a qualifié le dispositif policier déployé à la capitale, d’un « arsenal répressif digne des Républiques bananières». «Le FFS dénonce et condamne d’une manière forte cette campagne violente et féroce destinée à créer la terreur et la résignation chez les Algériennes et les Algériens, dans l’espoir de briser ce sursaut populaire pacifique », écrit le parti dans un communiqué.
Et d’accuser le pouvoir « visiblement désemparé » de chercher à « provoquer l’irréparable et pousser la situation vers le pourrissement et le chaos ». Tout en estimant qu’« aucun discours et qu’aucune injonction autoritaire ne peuvent s’ériger en loi », le parti « exige l’arrêt immédiat » de ce qu’il qualifie d’« opération répressive contre le peuple algérien ». Ceci, avant d’ajouter que « le pouvoir devrait écouter les revendications légitimes du peuple algérien au lieu de le punir pour avoir osé réclamer son autodétermination ». De son côté, le Parti des travailleurs (PT), « a dénoncé l’arrestation de Samira Messouci, élue du RCD à l’APW de Tizi Ouzou ainsi que d’autres manifestants ayant porté l’emblème de l’amazighité ». Tout en affichant son « soutien », le PT a exigé à l’issue de la réunion du secrétariat national du Bureau politique, réuni hier, « la libération immédiate de tous les détenus politiques, d’opinion et porteurs de drapeau amazigh ». Le PT s’est dit pourtant « soulagé » après « l’échec des tentatives de division menées par des parties ayant décidé d’interdire le port de l’emblème amazigh durant les marches ».
Pour sa part, Mahmoud Rechidi, SG du PST, dénonce la répression et se projette dans l’avenir immédiat : «Le Hirak doit trouver son nouveau souffle ! La lutte pour la cessation immédiate de la répression, la libération des détenus d’opinion et l’arrêt de toutes les atteintes aux libertés démocratiques doit être la priorité des priorités. Faisons du vendredi 5 juillet, un jour historique de mobilisation générale contre la répression ! », précise-t-il sur son compte Facebook.
La LADDH appelle à « l’abandon des poursuites »
Outre les partis, des ONG ont exprimé leur indignation, à l’image de la LADDH. La Ligue a dénoncé des arrestations « sur fonds d’une répression injustifiée et choquante ». Dans un communiqué, l’organisation de défense des droits de l’Homme met en garde que « les abus de la confiscation des emblèmes amazigh, palestinien et même national sont des pratiques dangereuses qui risquent d’attenter à l’unité nationale que le peuple défend malgré tout et à l’image de l’Algérie, solidaire avec les peuples en lutte pour leurs libertés ».
La LADDH regrette qu’« au moment où l’opinion attend des signaux forts d’apaisement et de bonne volonté en vue d’une solution politique à la crise, le pouvoir politique procède à contre-courant, en privilégiant la solution de la force et la répression contre le peuple pacifique qui a montré beaucoup de de retenue et de responsabilité ». Avertissant contre « l’irréparable », la Ligue a appelé le parquet « à l’abandon de toutes les poursuites judiciaires à l’encontre des manifestant-e-s pacifiques du mouvement-Hirak qui comparaîtront demain dimanche (Aujourd’hui, Ndlr) devant les tribunaux » et le pouvoir « à la libération de l’ensemble des détenus d’opinion et politiques et au respect des libertés publiques et individuelles ».
Le tout jeune « Réseau contre la répression, pour la libération des détenus d’opinions et pour les libertés démocratiques » dénonce, dans son 5e communiqué, les dérives policières et « se félicite de la détermination constante des citoyens et des nombreux appels lancés pour la libération des détenus d’opinion », en donnant une liste non-exhaustive de personnes arrêtées et condamne «ces agissements sans nom et appelle les citoyens à la vigilance, à plus de fermeté et de mobilisation jusqu’à ce que les droits des citoyens soient totalement respectés, et que les détenus d’opinion soient tous libérés ».
Zenati avertit, Sadi accuse
Côté personnalités nationales, Djamel Zenati, figure emblématique du Mouvement berbère, n’a pas tardé à réagir aux arrestations du 19e vendredi. « La division du mouvement entraînera inévitablement la division du pays », a alerté l’ancien directeur de campagne de feu Hocine Aït Ahmed. Dans une réaction sur sa page Facebook, Zenati a expliqué que devant cette situation « chacun doit mesurer les conséquences de ses actes ». L’allusion est claire. Saïd Sadi, lui, est plus direct. Dans une tribune postée hier sur sa page sur l’espace bleu, l’ancien président du RCD écrit : « Les abus ordonnés par le chef de l’état-major ne sont pas seulement dangereux pour la patrie, la paix civile et la démocratie. Ils sont aussi d’une irresponsable vulgarité puisqu’à la violence hors la loi, désormais assumée, ils additionnent l’ignorance et l’aveuglement sectaire ». Sadi fera remarquer que ces arrestations pour un emblème qui « appartient autant aux Kabyles qu’aux Chaouis, aux habitants de l’Ouarsenis, ceux de Skikda, Médéa ou de Tlemcen. Les Rifains du Maroc, les fils de Titaouine en Tunisie ou les fiers montagnards de l’Adrar Nefoussa de Libye », concernent souvent « des jeunes, garçons et filles, qui veulent vivre dans un pays libre, pluriel et tolérant et évoluer en intelligence et solidarité dans un voisinage apaisé ». Pour le fondateur du RCD, « il apparaît clairement que ce qui est recherché à travers ces attaques, c’est la réouverture des fractures provoquées de longue date par le système FLN pour empêcher la cohésion de la nation de se faire dans le respect général par et pour tout un chacun ».
L’indignation et la dénonciation de ses dérives policières ne se limitent plus aux partis et aux acteurs dits de la société civile. On assiste de plus en plus à l’expression et à la mobilisation citoyenne autour des questions de la libération des détenus d’opinion, des libertés individuelles et du droit à l’exercice démocratique comme c’est le cas à Ouzellaguen, Aokas ou Aïn Bénian. Les corporations ne sont pas en reste, les avocats montent au créneau avec de nouveaux collectifs qui s’engagent à défendre tous les détenus du Hirak.
Au-delà des appréhensions des uns et des autres, une détermination sans faille et une mobilisation ascendante se profilent dans les jours à venir pour barrer la route à ce que certains analystes qualifient, d’ores et déjà, d’OPA hostile sur le Hirak ou de tentative de contre-révolution.