Argent détourné à l’étranger : Entre slogan de campagne et réalité

Argent détourné à l’étranger : Entre slogan de campagne et réalité

Récupérer l’argent public déposé illégalement à l’étranger au préjudice de l’économie algérienne est un thème récurrent, pour ne pas dire un thème par excellence dont il est usé lors de cette campagne électorale qui en est à sa deuxième semaine.

Les candidats à la présidentielle du 12 décembre prochain le soulignent pratiquement lors de chacune de leurs interventions lors des meetings qu’ils animent. Aussi bien Abdelmadjid Tebboune qu’Ali Benflis, ou encore Abdelkader Bengrina et Azzedine Mihoubi, exception faite d’Abdelaziz Belaid qui tempère son discours à ce propos, ils ont tous abordé le sujet du rapatriement de l’argent public placé de manière frauduleuse dans des banques à l’étranger.

Est-ce un slogan de campagne ou une opération réalisable ? L’Algérie dispose-t-elle des moyens juridiques pour ce faire ? Si oui, combien cette opération pourrait-elle durer ? A qui faudrait-il s’adresser à l’étranger ? Ce sont autant de questions qui ne manqueront certainement pas de se poser au commun des Algériens puisque c’est justement de l’argent des Algériens qu’il s’agit. Un argent dont personne n’arrive à avancer un montant, si ce n’est qu’il s’agirait «de centaines de milliards de dollars».

Contacté à ce propos, l’avocat d’affaires Nasreddine Lezzar a estimé que «cette opération est réalisable s’il y a une véritable volonté de la part de l’Etat». Mais avant d’entreprendre toute procédure à l’étranger pour le rapatriement des capitaux transférés illégalement, il y a d’abord d’autres conditions à satisfaire ici en Algérie. «En premier lieu, il faut qu’il y ait des jugements de condamnation par une juridiction du pays qui veut récupérer cet argent. Il s’agit là d’une condamnation définitive. En deuxième lieu, il faut qu’il y ait également une saisie des biens dans le pays où se trouve le mis en cause, et dans notre cas, bien sûr, c’est l’Algérie», a-t-il expliqué.

La partie la plus délicate, en revanche, est de prouver que l’argent placé à l’étranger est bien un argent détourné. «Il faut aussi prouver qu’il y a une relation entre l’infraction commise par le mis en cause dont la condamnation a été prononcée définitivement et les biens qu’il possède à l’étranger : soit que les biens en question sont issus de cette infraction. En d’autres termes, il s’agit d’établir la traçabilité des opérations suspectées de transfert d’argent à travers des structures adéquates», selon l’avocat d’affaires. Dans ce contexte, il y a lieu de noter que l’Algérie a ratifié des conventions judiciaires qui lui permettent de récupérer les biens transférés frauduleusement, comme il faut signaler le principe de l’imprescriptibilité de l’action publique dans ce cas. Est-ce une procédure longue ? Pour Me Lezzar, tout dépend des pays, de leur gouvernance, mais cela ne devrait normalement pas poser de problèmes. «Si l’Etat veut vraiment rapatrier les fonds en question, cela est possible à réaliser pendant une période qui ne soit pas vraiment longue. Mais il faut bien comprendre que c’est l’Etat qui demande à récupérer l’argent à l’étranger. Cela doit se faire par le biais de la diplomatie. C’est le ministère des Affaires étrangères qui contacte les représentations diplomatiques algériennes dans les pays où il y a eu transfert illicite et ce sont elles qui prennent en charge cette opération en s’adressant aux structures concernées.

Pour la question du temps, cela dépend des relations entre les pays aussi. S’il y a une véritable volonté, cela peut se régler, par exemple, de trois mois à six mois maximum après la condamnation définitive et le lancement de la procédure à l’étranger», selon l’avocat d’affaires.

Rappelons que le candidat indépendant Abdelmadjid Tebboune s’est engagé, dès sa première sortie médiatique et durant toutes celles qui ont suivi pendant sa campagne, qu’il récupèrerait les fonds détournés qui se trouvent à l’étranger, soulignant que même s’il ne parvenait pas à récupérer la totalité, il ferait en sorte, au moins, de récupérer une bonne partie de cet argent. Il a relevé «détenir la recette légale pour réussir cela», tout en précisant que «l’Algérie a besoin, pour ce faire, d’un président légitime et des institutions pérennes». Le candidat de Talaie El Hourriyet, Ali Benflis, s’est, à son tour, penché sur le sujet en développant longuement et en détaillant comment il comptait s’y prendre s’il venait à être élu à la magistrature suprême du pays.
C’est un volet qui prend une part non négligeable dans son programme électoral.

Le candidat du Mouvement El Bina El Watani, Abdelkader Bengrina, a, quant à lui, promis d’organiser un référendum pour trancher les modalités de restitution des fonds pillés. Il a déclaré, dans ce sens, qu’il proposerait aux mis en cause une remise en liberté en contrepartie de la restitution des fonds, soulignant que c’est au peuple que reviendra la décision de maintenir les corrompus en prison pour les charges retenues contre eux ou de les libérer après avoir restitué les fonds détournés.

Pour sa part, le candidat Azzeddine Mihoubi, secrétaire général par intérim du RND, a promis qu’il mettrait en œuvre les procédures rigoureuses afin de restituer les fonds publics détournés en poursuivant la traçabilité de leurs transferts à travers des canaux internationaux.

Ines DALI