Ébranlés par deux échecs successifs pour l’organisation de l’élection présidentielle, les tenants du pouvoir semblent chercher un passage en force. Réussiront-ils leur coup face à un peuple qui réclame un changement radical du système ?
“À qui le tour ?” sommes-nous tentés de nous interroger. À mesure que la date fatidique du 9 juillet approche et qui devrait signer la fin de l’ordre constitutionnel, les tenants du pouvoir semblent gagnés par ce qui s’apparente à un désarroi. Signe de cette panique : les arrestations à tour de bras opérées parmi les manifestants dont le seul tort est d’avoir brandi l’emblème amazigh. Pis encore, même le grand moudjahid Lakhdar Bouregâa, un des fondateurs du FFS et opposant au régime depuis 1963, n’a pas échappé à ce qui ressemble de plus en plus à une chasse aux sorcières.
Selon un communiqué du parquet, Lakhdar Bouregâa est poursuivi pour les chefs d’accusation de “participation, en temps de paix, à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale et à un corps constitué”. Son tort, si on ose une lecture en filigrane des chefs d’inculpation : ses propos tenus lors de la réunion des Forces de l’alternative démocratique, jeudi dernier, au siège du RCD. Réputé pour ne pas avoir la langue dans sa poche, Lakhdar Bouregâa a non seulement épinglé l’homme fort du moment, Ahmed Gaïd Salah, mais a également considéré que “l’ANP ne doit pas se prévaloir d’être une digne héritière de l’ALN” et que le “pouvoir n’a jamais été légitime depuis l’indépendance”.
Autre digression qui ne semble pas avoir été appréciée par les tenants du pouvoir : son affirmation que ces derniers disposent de leur propre candidat qu’ils veulent légitimer à travers l’organisation d’une élection présidentielle jouée d’avance. Si on ignore s’il s’agit d’une simple analyse des faits ou d’une information vérifiée qu’il détiendrait, il reste qu’au regard de l’évolution de la situation, tout accrédite cette thèse. Parallèlement à l’entreprise de division du mouvement qu’illustrent la diversion tentée à travers l’emblème amazigh et l’escalade dans la répression, les ministres, confinés presque dans la clandestinité, tentent d’occuper le terrain, comme le fait depuis quelques jours le ministre de l’Intérieur ou encore celui de l’Habitat, qui parraine l’opération de distribution de logements, recette éprouvée par le passé à chaque fois que le régime s’apprête à organiser une échéance électorale.
Les relais traditionnels du régime ne sont pas en reste : alors que le FLN a réuni à Alger ses mouhafadhs dont on présume qu’ils ont été instruits pour quelque mission, le RND s’apprête à désigner un nouveau responsable pour se mettre de nouveau en ordre de bataille. Aussi, d’autres acteurs politiques, loin des feux de la rampe, évoluant à la périphérie du pouvoir, s’en vont prêcher la “bonne parole” dans l’Algérie profonde, comme le font Abdelaziz Belaïd ou Abdelmadjid Menasra, dont le plaidoyer recoupe la vision de sortie de crise défendue par le pouvoir, à quelques nuances près.
Un déploiement tous azimuts qui intervient dans un contexte de terribles pressions sur le champ médiatique et la fermeture des médias publics, lorsqu’ils ne se livrent pas à la propagande, à travers des invités triés sur le volet, de rejet de toutes les propositions de sortie de crise formulées jusque-là par nombre d’acteurs politiques et associatifs et de campagnes de dénigrement à l’encontre des figures de l’opposition menées par la cohorte des “mouches électroniques”.
Ébranlés par deux échecs successifs pour l’organisation de l’élection présidentielle et par la poursuite d’une mobilisation populaire loin de s’estomper, les tenants du pouvoir, qui ne donnent pas de signes d’une volonté d’aller à des compromis, semblent chercher un passage en force de leur “feuille de route”. Mais à quel prix ? Réussiront-ils face à un peuple qui réclame un changement radical du système ? La marche de vendredi prochain, qu’on annonce grandiose à l’occasion de la célébration de la fête de l’Indépendance, pourrait sans doute marquer un tournant dans la révolution du 22 février.
Karim Kebir