Assassinat d’Ali Boumendjel: Sa famille dénonce « un mensonge d’État » 

Assassinat d’Ali Boumendjel: Sa famille dénonce « un mensonge d’État » 

Quelques jours après l’apparition du rapport de l’historien Banjamin Sotra sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », la famille de l’avocat et militant politique Ali Boumendjel est revenue sur son assassinat et a dénoncé « un mensonge d’État ».

L’historien français Benjamin Stora a remis, mercredi passé, le rapport commandé par le Président Emmanuel Macron sur  « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Dans son rapport, Stora a formulé une liste de « préconisations » communes entre l’Algérie et la France afin de réconcilier les mémoires des deux rives de la Méditerranée, dont « la reconnaissance par la France de l’assassinat d’Ali Boumendjel, avocat, amis de René Capitant, dirigeant politique du nationalisme algérien, assassiné pendant « la Bataille d’Alger » de 1957 ».

Aujourd’hui, plus de 60 ans après cet horrible et honteux acte criminel de la France coloniale, la famille du valeureux Ali Boumendjel est revenue sur son assassinat et a dénoncé un « mensonge d’État ».

C’est avec une voix nouée et des yeux en larmes que sa nièce, Mme. Fadela Boumendjel-Chitour, Professeur de médecine et militante des droits humains, a remonté les pendules jusqu’aux années 50 pour revenir sur l’assassinat de son oncle, dont la mort « a façonné » son adolescence.

La septuagénaire a dénoncé un « mensonge de l’État (français) qui fut dévastateur », soulignant que « la veuve d’Ali Boumendjel, ses parents, sa fratrie et un de ses fils, sont morts sans que la vérité sur son assassinat ne soit révélée officiellement ».

En effet, l’assassinat d’Ali Boumendjel a été maquillé en suicide et ce jusqu’aux années 2000, quand le général parachutiste sanguinaire Paul Aussaresses avait fait ses aveux à ce sujet. « On nous a fait croire qu’il s’était jeté d’un immeuble à El Biar (les hauteurs d’Alger) », a-t-elle confié.

« Je crois que les responsables politiques français ne mesurent pas à quel point des familles entières ont été dévastées par les mensonges d’État », a affirmé Mme. Boumendjel-Chitour rajoutant qu’ « elle aimerait que l’on reconnaisse que le colonialisme est une atteinte à la dignité humaine au même titre que la Shoah et l’esclavage ».

« La réhabilitation (d’Ali Boumendjel) est une approche de la vérité. C’est bien, à condition que l’on reconnaisse qu’il a été sauvagement torturé durant des semaines et que son assassinat a été masqué en suicide », a-t-il affirmé en évoquant le rapport Stora.

Pour la nièce du défunt militant, la vérité doit être rétablie pour tous, « célèbres ou anonymes ». « Mais pourquoi le singulariser ? Pourquoi ne pas célébrer le martyr inconnu ? », s’est-elle interrogée.

Un assassinat maquillé en suicide sur ordre d’Aussaresses

Né le 24 mai 1919 à Relizane au sein d’une famille originaire de Tizi Ouzou, Ali Boumendjel est un avocat militant politique. « C’était un érudit, un intellectuel qui adorait réciter les poèmes de Virgile, parler de peinture ou encore danser la valse (…) Il était matheux et avait fait droit par défaut comme il se plaisait à le dire, car, à l’époque, il était compliqué (pour un « indigène ») de pouvoir prétendre aux grandes écoles (..) Il était ouvert sur la culture universelle », a témoigné sa nièce.

Le 9 février de l’année 1957, durant la Bataille d’Alger et dans le temps où les paras français usaient des plus lâches moyens de torture et d’exécutions sommaires pour étouffer la lutte du FLN, Ali Boumendjel fut arrêté et détenu dans divers lieux à Alger.

« Lorsque nous avons appris le 9 février 1957 son arrestation, mon père était alors avocat à Paris. Je me souviens à quel point la simple annonce de son arrestation a constitué un électrochoc pour mon père. Il avait réalisé qu’étant donné l’horrible répression de l’époque, tous les dangers planaient sur la tête de son jeune frère. Il n’a cessé d’alerter les autorités civiles, religieuses de France en envoyant des télégrammes pour dénoncer son arrestation arbitraire et l’absence d’information », a raconté Mme. Boumendjel-Chitour.

Le 23 mars de la même année, alors âgé de 38 ans, Ali Boumendjel fut assassiné par défenestration du sixième étage d’un immeuble abritant un centre de torture, situé à El Biar sur les hauteurs d’Alger, là où justement, avaient été détenus et torturés le journaliste Henri Alleg et le mathématicien Maurice Audin, et ce après 43 jours de détention et de torture.

Les autorités françaises avaient maquillé son assassinat en suicide, jusqu’en 2001, où Aussaresses avait fait ses aveux, dans son livre de « confessions », qui témoigne de ses agissements « criminels » durant la guerre d’Algérie. Bien qu’il n’avait pas avoué l’avoir torturé, l’officier français avait admis avoir planifié et donné l’ordre de son exécution par défenestration, afin de maquiller cet assassinat en suicide.

« Mon père a appris qu’il aurait tenté de se suicider avec le verre de ses lunettes. C’était glaçant. Je me souviendrai toujours du dimanche 23 mars, où j’entendis la voix de mon grand-père. Une voix blanche, une voix métamorphosée (…) Je me souviens de la réaction terrible de mon père qui était l’aîné et se sentait responsable », a encore révélé la nièce du regretté et valeureux avocat.