Au Foyer de l’enfance assistée (FEA) d’Aïn Touta, beaucoup d’enfants ont été sacrifiés sur l’autel des pratiques douteuses et de l’incompétence.
Le constat est effroyable ! Les enfants abandonnés sont de plus en plus nombreux, à Batna et ailleurs. Par leurs parents d’abord, ceux-là mêmes censés leur donner l’amour, puis par la société, car coupables d’exister. Ils deviennent “assistés”. Face à cette “lâcheté” collective, l’association El-Baraa milite depuis 15 ans. Souad Bensalah, sa présidente, architecte de profession, raconte son combat pour ceux qu’elle a choisis de nommer les “abandonnés”. Comme elle le dénonce : il n’y a pas de loi qui protège cette catégorie d’enfants ! “J’ai lu la loi votée récemment à l’APN, aucun article ne protège les enfants abandonnés. Ni l’enfant placé en kafala — après le décès du kafil, c’est la rue — ni les enfants admis dans les centres. Ces derniers sont victimes d’attouchements et d’agressions sexuelles, de pédophilie et de beaucoup d’autres choses, souvent perpétrés par ceux qui les encadrent. Mais personne n’en parle.
L’inexistence d’une loi qui protège cette catégorie permet à chacun d’en disposer comme bon lui semble”, dira Mme Bensalah. Et de regretter qu’“après tout ce travail, la loi pour l’enfance n’a pas changé grand-chose à la situation”. C’est, en effet, le cri d’indignation et de colère d’une mère qui ne peut pas admettre, depuis son engagement dans ce combat, il y a près de 15 ans, que cela puisse arriver dans l’impunité la plus totale.
Selon elle, le rôle du ministère de la Solidarité demeure très faible par rapport au terrain, parce qu’on ne travaille pas avec les associations. Ce ne sont que des chiffres. “On parle du nombre de centres que nous avons, de combien d’enfants, mais on ne parle pas de l’enfant lui-même en tant qu’être humain. Pour l’État, l’enfant est juste un… dossier”, dira-t-elle. Pour illustrer ses propos, Mme Bensalah raconte qu’au Foyer de l’enfance assistée (FEA) d’Aïn Touta, beaucoup d’enfants ont été sacrifiés sur l’autel des pratiques douteuses et de l’incompétence.
Au départ, il y a près de 15 ans, les militants de l’association pensaient que le programme se limitait à l’aide matérielle, aux visites des enfants dans les centres et au suivi. Mais la réalité s’avérera tout autre. Car le suivi, entre autres missions, est une notion vague, parce qu’un suivi qui commence est un suivi qui ne finit presque jamais. Les membres de l’association se rendront vite compte que leur rôle ne va pas s’arrêter au matériel.
D’abord, un besoin d’affection se fait sentir chez les enfants, surtout chez les pubères. Ils commencent à se rendre compte de leur triste réalité. Ce qui fait que l’enfant commence à ressentir sa blessure. “On se devait d’essayer d’atténuer cette blessure. On ne pourra jamais la supprimer. On était présent. On a commencé à suivre leur scolarité avec, entre autres, des cours de soutien. On essayait de trouver des occupations aux adolescents qui n’avaient pas de niveau scolaire important. La formation professionnelle par exemple”, nous explique-t-elle. Mais depuis, tout a changé. Selon Mme Bensalah, il y a eu des agressions sur plusieurs enfants, le viol d’un trisomique, un autre plus récent d’une fille de 11 ans, des agressions physiques ou encore plusieurs tentatives de faire mettre en prison un handicapé partiel qui vivait au foyer.
Mais le fait le plus marquant reste sans conteste le transfert “arbitraire”, vers Constantine, de jeunes adolescentes dont plusieurs d’entre elles ont accusé une responsable du foyer d’attouchements sexuels. Elles ont été ainsi sacrifiées, car ces enfants-là ont passé plus de 10 ans ensemble. Ils se sont habitués à vivre ensemble et à former un semblant de famille. Trois d’entre elles ont très mal tourné. C’est toute leur vie qui a changé.
Et revenir au FEA d’Aïn Touta n’est plus possible. “Il y a une très grande responsabilité de l’administration qui fait des transferts aléatoires sans tenir compte des facteurs sociaux ou du début de l’intégration de ces enfants dans la société. Un enfant n’est pas un dossier, c’est un être humain qui souffre, qui a besoin d’attention, d’orientation. Il y a beaucoup de choses qu’il a envie de faire, mais il est opprimé”, explique encore Mme Bensalah.
Elle argue que l’une des filles transférées a eu son brevet. Mais à son arrivée à Constantine, elle a été dirigée vers le centre d’Héliopolis (Guelma), un centre destiné aux délinquants. Elle n’a pas pu supporter. Elle a disparu, nous apprend notre interlocutrice. Il y avait aussi un certain nombre de filles qui étaient en âge de se marier. Elles avaient terminé leur formation scolaire ou professionnelle, et ne faisaient rien du tout. Même le sport ne leur était pas vraiment accessible.
Le terrain qui jouxte le FEA était souvent occupé par les garçons. L’association s’est employée à les aider en cela. La première fille mariée, il y a une dizaine d’années, l’a été avec un employé du FEA. Il y travaille toujours. Elle était d’accord. Elle le connaissait déjà. L’association leur a même obtenu un logement social, grâce au président de l’APC. Ainsi, toutes les filles mariées ont réussi leur vie. “S’il y avait le moindre problème, elles nous auraient contactés.
On leur rend visite à chaque occasion qui se présente. On leur a même rendu visite lorsqu’elles ont eu leur premier enfant. On voit dans quelles conditions elles vivent et on leur fournit ce dont elles ont besoin”, nous dit-elle, ajoutant que “la réussite de ces filles n’est pas que dans le mariage. Il y en a parmi elles qui sont universitaires”. Mais tout cela, c’était avant 2010. La prise en charge était correcte.
Aujourd’hui, c’est une autre histoire. Le cas du FEA d’Aïn Touta est connu par toutes les parties concernées, dont la Direction de l’action sociale et les services de sécurité. Malheureusement, rien ne change ! Jusqu’à quand acceptera-t-on le sacrifice de ces enfants sans broncher ?, s’indignent les membres de l’association El-Baraa.