Au final des requêtes du procureur général qui avait demandé des peines sévères de prison ferme pour les 78 accusés, allant de la perpétuité à une année de prison en passant par dix, quinze et vingt ans de réclusion criminelle, la plupart des prévenus, notamment ceux comparaissant librement et poursuivis pour de simples délits, sont sortis de la salle d’audience en larmes.
Aujourd’hui, ce fut au tour de la défense de présenter ses arguments démentant ceux du ministère Public qui selon elle, a excellé dans « la désinformation », en imputant à certains prévenus des faits pour lesquels ils n’étaient pas poursuivis.
C’est à Me Miloud Brahimi qu’échoira la mission d’ouvrir les plaidoiries. Egale à lui-même, il ne s’encombrera pas de salamalek pour interpeller le procureur. « Vous représentez peut-être la société, mais ce n’est pas la société dans laquelle je vis et à laquelle j’aspire pas plus que les prévenus libres et derrière le box. Agissant pour le compte de l’ex-PDG de l’ENAGEO et de Guelliimi Djamel (supposé ex-bras de droit de Abdelmoumène), cet excellent avocat pénaliste prendra la place du procureur non pas pour charger les accusés, mais pour dénoncer d’abord et avant tout la poursuite de la détention de certains d’entre eux derrière les barreaux après la prise de corps. « C’est un véritable scandale », dira l’ex-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme. C’est une mesure copiée du code pénal français qui s’en est d’ailleurs débarrassé. » L’avocat précisera au tribunal criminel qu’il n’y « aura pas de troisième procès Khalifa, en dépit de toutes les tentatives du pouvoir de faire des affaires des spectacles. »
Me Brahimi qualifiera les réquisitions de Mohamed Zergrras de « barbares. Car demander à ce que l’on condamne à quelqu’un à la perpétuité, c’est signer son arrêt de mort civile. » Et le défenseur des droits de l’homme d’enchaîner sur ce qui est advenu de la justice algérienne qui donne le mauvais exemple à telle enseigne que les ressortissants algériens sont maltraités dans les autres pays. « Si notre justice était à la hauteur, jamais Rafik Abdelmoumène Khalifa (considéré comme bougnoule) ne serait détenu près de huit ans et demi sous écrou extraditionnel « alors qu’il n’a commis aucun délit sur le sol britannique. »
« Vous êtes des juges, pas des justiciers »
Me Brahimi notera que le représentant du ministère Public avait requis des peines supérieures à celles décidées en 2007. Cela n’apporte rien à la crédibilité de la justice, au contraire. « La société que vous représentez par la force de la loi n’est pas celle dans laquelle je vis et à laquelle j’aspire, pas plus que celle à laquelle aspirent l’ensemble des prévenus », renchérit le défenseur de l’ex-PRDG de l’ENAGEO et de Guellimi Djamel avant de poursuivre : « nous savons tous que tous les coupables ne sont pas tous dans le box des accusés et que ceux qui y sont ne sont pas tous coupables. Des noms de hauts responsables, dont plusieurs sont encore en poste ont été cités aussi bien en 2007 que lors de ce procès en appel, mais personne ne les a inquiétés. »
Pour étayer sa plaidoirie, Me Brahimi précisera que le liquidateur qui a été auditionné n’a pas situé les responsabilités. Mais « force est de constater qu’on a laissé faire au niveau des plus hautes sphères de l’Etat. On vous fait violence de vous demander de juger les lampistes. Aussi, j’en appelle à votre conscience. Car, poursuit l’avocat en s’adressant au président de l’audience et à ses conseillers, vous êtes juges et non justiciers, comme a voulu se présenter le procureur général. »
Après cette grande parenthèse, Me Brahimi se plongera dans la défense de l’ex-PDG de l’ENAGEO contre lequel Zergrass a requis trois de prison ferme. « J’ai préparé un dossier que je vous remettrai à vous monsieur le président et au procureur. Mais je n’ai pas une copie pour la partie civile. Tout simplement parce que celle-ci n’existe pas. Il n’y a pas eu de plainte de la Sonatrach contre mon client. ». Et l’avocat de dévoiler ce qu’il a qualifié de secret. « C’est Sonatrach qui m’a fait appel pur défendre Rahal Réda auquel on reproche un acte de gestion à travers des dépôts à terme de fonds de l’entreprise. Des dépôts qui ont fait dans une banque agréée, voire adulée et à laquelle « on déroulait le tapis rouge, qui a sponsorisé l’Olympique de Marseille qui a joué un match avec l’équipe nationale en Algérie, auquel de hautes personnalités de l’Etat ont assisté, y compris Paméla Anderson ».
Bifurquant sur les chefs d’accusation retenus contre son deuxième client, Guellimi Djamel, Me Brahimi tentera de « démolir » les arguments du procureur général, notamment celle d’association de malfaiteurs. Pour lui, le crime de l’ex-inspecteur général de Khalifa Airways est d’être l’ami d’enfance de Rafik Abdelmoumène Khalifa. « Le représentant du ministère public a ajouté des accusations qui n’existent pas dans l’arrêt de renvoi, à savoir la complicité de vol. Alors que Guellimi n’était en rien responsable de la gestion de Khalifa Bank. Il dénoncera la demande de 20 ans de prison requises par le procureur (cinq ans de plus qu’en 2007). « Vous savez, cela fait huit ans et demi que mon client est derrière les barreaux. Cela fait huit ans et demi qu’il refuse la visite de ses enfants parce qu’il ne veut pas qu’ils aient une image humiliante de leur père. » A ce moment, Guellimi prend son visage entre ses deux mains et éclate en sanglots. Me Brahimi demandera la relaxe pour l’ex-PDG de l’ENAGEO et l’application de la loi pour Guellimi.
Le pave dans la marre de Me Bourayou
Moins virulent que de coutume dans ses plaidoiries, Khaled Bourayou n’en jettera pas moins un pavé dans la mare, assez grave au demeurant et que personne parmi l’assistance n’arrivait à comprendre. Défenseur de Issir Idir, l’ex-directeur d’agence de la BDL de Staouéli qui s’est retrouvé après son licenciement responsable de l’agence Khalifa Bank de l’hôtel Hilton, l’avocat n’hésitera pas de parler de complot en bonne et due forme fomenté contre son client. « Issir Idir, faut-il le rappeler avait été poursuivi dans une première affaire d’octroi de crédit à Abdelmoumène Khalifa de 11 milliards de centimes, sans garantie aucune. Affaire dans laquelle il avait bénéficié de la relaxe pure et simple, ce d’autant que l’ex-Golden boy avait remboursé le crédit après que son débiteur, un certain Bouhadja lui eut réglé les frais de la cession d’une entreprise.
L’avocat fera part d’une commission rogatoire demandée par le juge d’instruction aux services de sécurité à propos des documents portant actes d’hypothèques du local commercial et de la villa de la famille Khalifa. « Ils sont sortis sans cachet du bureau du juge d’instruction et sont revenus avec des cachets bleus des services de sécurité. Or, les sceaux des offices publics sont connus, de par le décret qui la régit, sont rouges. Il y a un faux quelque part pour incriminer de nouveau mon client d’association de malfaiteurs, sachant qu’il ne pouvait être jugé deux fois pour les mêmes faits. Mais Me Bourayou n’a pas été convaincant en étant dans l’incapacité de répondre à la question des journalistes : « à qui profite le crime ? ».
L’avocat ne terminera pas sa plaidoirie sans déclarer : « Je pensais que ce procès en appel en présence du PDG du groupe allait nous enrichir en révélations. Il se trouve que le principal accusé a refusé d’en faire, en dépit des déclarations sur les chaines de télévision lorsqu’il était en fuite ».
« Khalifa est un pickpocket »
Rappelons qu’à la veille des plaidoiries, le procureur général s’est donné à cœur en joie en termes d’accusations, tentant de prouver les accusations contre les prévenus. Pour Mohamed Zergrass, Abdelmoumène a commencé comme délinquant, un pickpocket avant d’évoluer en un voleur professionnel de l’argent des déposants. « Rafik Abdelmoumène Khalifa a été philanthrope avec l’argent de la banque », dira le représentant du ministère public qui s’étalera sur les sponsorings, les crédits octroyés à des taux nettement inférieurs, alors que les banques ne vivent que de crédits. « Si Rafik Abdelmoumène était réellement innocent, pourquoi a-t-il choisi la fuite au lieu de la confrontation. Cela veut dire qu’il avait des choses à se reprocher. En plus, il ne s’est pas rendu, il a été extradé. Cela veut dire qu’il n’est pas là de son propre gré.
Le procureur ne s’est pas encombré de scrupule, selon certaines robes noires pour qualifier l’ex-PDG de la banque privée et certains de ses collaborateurs, « de voleurs, minables délinquants, escrocs, usurpateurs » etc. Ce qui n’a pas été du goût des avocats qui avaient déclaré que le procureur n’avait pas le droit d’humilier les prévenus, car ils sont encore innocents jusqu’à preuve du contraire « et quand bien même ils seraient coupables, ce sont des êtres humains », comme nous l’a signifié un membre du collectif des robes noires. « Ce d’autant, nous a-t-il encore affirmé, ni le liquidateur, ni son représentant légal ne se sont permis d’enfoncer les prévenus, leur réservant un minimum d’égard. »
Les plaidoiries se poursuivent demain pour la deuxième journée, pour les prévenus accusés de délit. La défense de Abdelmoummène Khalifa, qui, faut-il le relever, était resté de marbre, à la réquisition formulée contre lui par le représentant du ministère Public, devrait intervenir en principe samedi prochain. S’ensuivra la réponse du procureur (il en a le droit selon le code de procédure pénale) avant de laisser place aux 78 mis en cause pour dire le dernier mot. Le tribunal criminel se retirera pour délibérer selon son « intime conviction ».
Faouzia Ababsa