Stade de France, le Bataclan, Thalys Amsterdam/Paris, Musée juif de Bruxelles, Madrid –Atocha : autant de lieux, théâtre de violence terroriste, dont les exécutants ou les cerveaux sont originaires ou ont séjourné dans ce quartier qualifié d’“incubateur de la radicalisation”.
Il est 11h lorsque nous arrivons, jeudi
26 novembre, à Rouillon, un lieudit faisant partie de Flines-Lès-Mortagne, commune de moins de 2000 habitants située dans le nord de la France. Après les fortes précipitations de la nuit, un soupçon de soleil tente vainement d’éclaircir un ciel gris et nuageux. Le seul café, de la terrasse, faisant face à l’église, est fermé. C’est que la région, réputée pour ses thermes, vit au ralenti en dehors de la saison des cures. Après avoir contourné l’église, en direction de l’est, nous arpentons une route de campagne. À peine 600 m de traversée, sans rencontrer une âme le long du tracé, nous sommes dans la localité de Wiers.
Si ce n’est la connotation Flandre du nom du village, on n’aurait pas su que nous venions de traverser la frontière franco-belge. Près de deux semaines après les horribles attentats de Paris ayant fait 130 morts, nous passons sans encombre l’un des 300 passages de la frontière franco-belge. Ici, dans ces contrées où aucune frontière “physique” ne sépare la France de la Belgique, avant même l’instauration de l’espace Schengen, les rares personnes que nous croiserons avaient l’air détendues, pourtant elles font partie de riverains de ces espaces dits frontaliers entre la France et la Belgique et qui font partie de l’actualité la plus médiatisée depuis le 13 novembre. Au moins 7 personnes supposées être impliquées dans les attentats qui avaient endeuillé Paris ce jour-là avaient transité par ces couloirs. L’aisance avec laquelle nous passons des deux côtés de la frontière est inversement proportionnelle avec le degré des difficultés que rencontrent les dirigeants des pays européens à gérer la question de la circulation des personnes au sein de l’espace Schengen en ces temps de crises et de fortes menaces terroristes.
Molenbeek ou le djihad sans l’islam
Pour rejoindre la capitale belge, située à 100 km de l’autre côté de la frontière, il faut compter environ 1 heure 30 de temps, toujours dans la grisaille déprimante du ciel du Nord qui contraste avec l’air détendu et le sourire optimiste des villageois de Rouillon et de Wiers, rencontrés sur la route et dans l’Euro Spar.
Il contraste aussi avec l’air grave de la majorité des Bruxellois astreints depuis plus d’une semaine à vivre sur leurs gardes dans un royaume où l’alerte est de 4 sur une échelle de 4, soit avec le risque d’attentats imminents. Entre cette menace qui pèse sur les Bruxellois et les sanglants attentats perpétrés à Paris le 13 novembre, en plus du terrorisme, on a un autre dénominateur en commun, la ville de Molenbeek, que l’on peut joindre, justement, en moins de 20 mn à pied depuis le centre de Bruxelles, en traversant le canal Saint-Jean. Au moins 7 présumés terroristes ayant pris part, d’une façon ou d’une autre aux attentats de Paris ont un lien avec ce bourg. Certains ont été tués, comme c’est le cas pour Abdelhamid Abaaoud et Brahim Abdeslam. D’autres ont été arrêtés, à l’image de Hamza Attou, Mohamed Amri et Ahmed Dahmani. Le reste, tels que Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, sont toujours en cavale. Et c’est la présence en liberté de ces derniers qu’on présente comme lourdement armés et préparés au “martyr” qui fait courir toutes les polices du monde. Mais le nom de Molenbeek n’est pas sorti de l’anonymat avec les récents attentats de Paris. Seulement, il fait l’objet d’une plus vaste médiatisation à la hauteur de l’indignation provoquée par les derniers lâches assassinats commis dans la capitale française. En effet, le 21 août 2015, moins de trois mois avant ces massacres de Paris, un attentat est déjoué dans le Thalys Amsterdam-Paris tout en faisant des victimes. L’auteur, Ayoub El-Khazzani, a séjourné à Molenbeek. Moins d’une année avant, le 24 mai 2014, il y a eu la tuerie du musée juif de Bruxelles avec pour un temps à Molenbeek.
Une décennie avant, le 11 mars 2004, des attentats à Madrid, dans un train, ont fait 191 morts. Le cerveau de ce carnage est un dénommé Hassan El-Haski qui a, lui aussi, séjourné à Molenbeek. En 2001, avant même les attentats du 11 septembre, le commandant Massoud, leader de l’opposition afghane, est assassiné par deux terroristes se faisant passer pour des journalistes belges d’origine arabe. L’un des auteurs, Abdessater Dahmane, est passé par Molenbeek. Pire, le bourgmestre de Molenbeek-Saint-Jean, Mme Françoise Schepmans dit disposer, depuis juin dernier, d’une liste de 85 islamistes radicalistes. Ces derniers sont catalogués en prédicateurs extrémistes, des terroristes en séjour en Syrie, des extrémistes potentiellement partant pour la Syrie.
A Molenbeek, on ne peut emprunter la rue de l’Avenir sans jeter un coup d’œil à la demeure des Abaaoud et penser au dernier carnage perpétré par leur fils Abdelhamid, alias Abu Omar El Beljdjiki. Comme on ne peut passer par la place de la commune sans que notre regard ne se porte sur l’une des demeures des Abdeselam et se rappeler que leur fils Salah est le terroriste le plus recherché de la planète. Ici, comme pour le cas des Kouachi, on va au djihad en famille… souvent à l’insu du reste de la fratrie et en lui causant des torts qui ne seront, peut-être, jamais réparables. Pour les Abaaoud, Abdelhamid a lui-même recruté son frère Younes, âgé à peine de 13 ans à l’époque, pour faire le djihad en Syrie. Pour les Abdeslam, si Salah est toujours en fuite, son frère Brahim, lui, s’est fait exploser au stade de France. Malgré ces faits et cette inflation de “fiches S” de ce côté du canal de Saint-Jean, les habitants de ce bourg de 96 000 habitants ne sont pas tous des Salah Abdselam ou des Abdelhamid Abaaoud. Ils tiennent à le crier haut et fort à nous les journalistes et au reste du monde, comme ce fut le cas en ce 18 novembre, soit une semaine après les massacres de Paris. Ce jour là, près de 2000 Molenbeekois, ont procédé à un lâcher de ballons en guise d’hommage aux victimes de Saint-Denis, du Bataclan et des terrasses. Ce geste est aussi l’expression du rejet par toute une communauté des démons qui la rongent et une façon de dire qu’il existe désormais un avant et un après-13 novembre 2015 chez les musulmans de Molenbeek.
Un djihad sans islam et des politiques pas toujours porteuses
Au lendemain de chaque attentat perpétré par des terroristes se revendiquant de l’idéologie islamique, c’est le désarroi des proches et voisins des auteurs. Ici, à Molenbeek, comme ailleurs, la délinquance et les trafics de tous genres semblent devenir des antichambres pour le djihad à la place de la piété et de la pratique des rituels. Un acte dans lequel des jeunes, soit désœuvrés, soit déséquilibrés, s’y lancent sans en saisir le sens. A Molenbeek, le djihad sans islam, celui des voleurs à la tire, a fait place à l’authentique, celui qui renvoie au sacrifice pour le bien-être de la communauté dans laquelle nous vivons. Malgré cela, le problème de Molenbeek ne découle pas d’une simple interprétation erronée des textes d’une religion par une poignée de jeunes en mal d’identité. Il est aussi la conséquence d’un échec de la gestion politique d’une cité. L’actuelle équipe de l’hôtel de ville ne rate aucune occasion pour dénoncer le laisser-aller de l’équipe sortante, accusée d’avoir tacitement pactisée avec les extrémistes pour s’assurer une sorte de paix sociale.
Le problème est aussi socioéconomique avec un taux de chômage de 30% au sein d’une population poussée de plus en plus à se ghettoïser.
Malgré cela, ni la population de Molenbeek ni les responsables belges ne sont prêts à céder au fatalisme. L’après-13 novembre se profile déjà à l’horizon. Le gouvernement vient de débloquer une cagnotte de 150 000 euros pour soutenir des projets qui vont dans ce sens et avec obligations de résultats. Une cellule de dé-radicalisation existe déjà mais aucune des familles des 7 terroristes présumés, liés aux attentats de Paris, n’a été, un jour ou l’autre, en relation avec cette structure. Et ce sont ce type d’échecs que l’on ne veut plus reconduire. Comme une note d’espoir ne se décline jamais seule, ce 26 novembre, avant que la nuit ne tombe sur la région bruxelloise, le niveau d’alerte est passé de 4 à 3… La vie peut, ainsi, reprendre un cours quasi normal en attendant que la communauté internationale arrive, ensemble, à bout de l’hydre terroriste.
M. K.