L’acquittement de Nadir Ftissi par le tribunal d’Annaba, à la mi-août et la relaxe de Sabrina Malek, lundi passé, augurent d’un dénouement heureux pour les détenus d’El Harrach et d’ailleurs, arbitrairement incarcérés pour port de drapeau amazigh. La comparution aujourd’hui de quatre porteurs, détenus d’opinion, et le verdict qui en découlera sera déterminant pour la suite des événements.
Hormis les verdicts de Chlef et de Jijel où les prévenus ont écopé de deux mois avec sursis, jugements pour lesquels il y a une procédure d’appel en cours, tout semble concourir vers la remise en liberté des porteurs de drapeaux amazighs, mis sous mandat de dépôt, dans le sillage d’un discours mémorable du chef d’Etat-major, prononcé en juin dernier, sur le danger supposé de la présence d’un autre étendard autre que le drapeau national, menaçant l’unité nationale, et instruisant les services de sécurité d’agir en conséquence.
Et c’est particulièrement à Alger où la «chasse aux porteurs de drapeaux» a été la plus dure et la plus répressive. Des villes comme Béjaïa, Tizi Ouzou ou Bouira ont continué à brandir fièrement le drapeau amazigh aux côtés de l’emblème national dans une « impunité » totale, si l’on s’en tient à la nouvelle menace d’atteinte à l’unité nationale décrétée par Gaïd Salah.
C’est aussi à Alger que l’appareil judiciaire a eu la main lourde et la procédure sévère en décrétant la mise sous mandat de dépôt de personnes ne constituant nullement un danger, ni pour la société ni pour autrui, et ayant, surtout, exprimé une opinion et une appartenance identitaire, pourtant consacrée par la loi fondamentale du pays, sa Constitution, en brandissant l’emblème amazigh qui ne relève nullement de l’acte délictuel condamnable par la loi.
Ainsi, plus de soixante personnes dont un peu plus d’une quarantaine à Alger qui ont fini sous mandat de dépôt depuis ce fatidique discours. Un traumatisme psychologique pour bon nombre de familles et de détenus. Des vies qui resteront marquées à jamais par ce passage par la case prison dans un « jeu de loi » des plus sordides.
L’arrivée de Zeghmati, coïncidence ou vraie solution à un faux problème ?
Difficile de ne pas faire le rapprochement entre la nomination de Belkacem Zeghmati à la tête de la chancellerie et ce vent de clémence qui a commencé à souffler sur « l’affaire des détenus du drapeau amazigh », moins de quinze jours après sa nomination. D’aucuns diront que c’est sous son « règne » de procureur général de la cour d’Alger que les porteurs de drapeaux ont été mis sous mandat de dépôt.
Mais pour qui connaît les arcanes du pouvoir et les rouages politiques de l’appareil judiciaire, le ministère de la Justice a toujours eu son mot à dire. Zeghmati, ministre et garde des Sceaux, a de meilleures et franches coudées que Zeghmati le procureur général, et un dossier bien encombrant sur les bras, qui vient miner l’action de salubrité nationale, menée tambour battant, en s’attaquant à la mafia des oligarques et hypothéquer les démarches d’apaisement et en faveur d’un dialogue inclusif initié dans le cadre du panel.
Ce dossier écorne, aussi, sérieusement l’image du pays sur la scène internationale et la question des droits de l’Homme.
Pour Mme Yamina Allili, «c’est une lecture comme une autre, depuis la nomination de Zeghmati, il s’est passé un mois et j’estime que les juges ont pris trop de temps pour se mettre en branle et prendre l’affaire en main. Aujourd’hui, le passage de quatre prévenus devant le juge d’instruction a toutes les chances d’aboutir vers une relaxe et l’abandon des charges. Dans l’autre cas de figure, le juge peut programmer une date de jugement. Nous demanderons alors la mise en liberté provisoire… »
Les avocats des détenus, le CNLD (Comité national de libération des détenus), les parents de détenus et le Réseau de lutte contre la répression, pour la libération des détenus d’opinion et pour les libertés démocratiques, ainsi que de nombreuses personnalités, appellent à la tenue d’un rassemblement aujourd’hui, à 10h, devant le tribunal de Sidi-M’hamed, en soutien aux quatre porteurs de drapeaux amazighs qui vont comparaître devant le juge d’instruction. Il s’agit de Samira Mesouci, Amokrane Challal, Hocine Aouissi et El Hadi Kichou. Aouïcha Bekhti, avocate et militante, estime qu’«ils ont toutes leurs chances de bénéficier d’un non-lieu si l’on considère la tendance actuelle». Elle n’exclut pas non plus la «possible donne incarnée par l’actuel ministre de la Justice qui a justement apporté la solution politique à un problème politique. Maintenant, il est plus que certain que cela obéit à des agendas politiques précis. L’acquittement de Ftissi à Annaba a coïncidé avec la tenue d’une importance réunion du panel.
Le non-lieu de Sabrina Malek ce lundi et pourquoi pas celui de nos quatre détenus aujourd’hui pourraient tout aussi bien s’inscrire dans les actions concomitantes à l’annonce de la tenue des élections présidentielles…» Retour dans les faits des
mesures d’apaisement si chères à Bensalah ? En l’état actuel des choses, tout porterait à le croire…
Retour du drapeau amazigh dans le Hirak ?
Dans cette affaire des porteurs de drapeaux amazighs, les craintes aussi bien des détenus, que de leurs parents ou de leurs avocats étaient que leur cas, tout comme leur cause, puissent être monnayés par des parties politiques. Leftissi, du fin fond de sa cellule avait fait parvenir un message clair : « Pas question que nous servions de monnaie d’échange dans une quelconque transaction politique… ».
Peut-être pas de manière directe. L’on se rappelle la volonté affichée par le président de la République par intérim, Bensalah, en faveur de mesures d’apaisement pour faire passer la solution du panel en faveur du dialogue, et de la fin de non-recevoir déclarée quelques jours plus tard par le chef d’Etat-major et vice-ministre de la Défense, Gaïd Salah.
Aujourd’hui, ce malaise au somment, qui a les contours d’une mini-crise politique, semble avoir trouvé une issue salvatrice : l’imminence d’élections présidentielles et la redéfinition des missions du panel contre des mesures d’apaisement, aussi bien à propos des détenus pour port de drapeaux amazighs que dans la gestion sécuritaire des deux grands rendez-vous hebdomadaires du Hirak : les mardis estudiantins et les vendredis populaires. Au-delà du fait que l’attendu non-lieu pour les détenteurs de drapeaux amazighs serait un véritable camouflet juridique pour Gaïd Salah, celui-ci pourrait tout aussi bien l’exploiter et l’interpréter comme preuve intangible d’une justice indépendante. Par contre, cela autoriserait-il le retour du drapeau amazigh dans les marches d’Alger, sans que cela fasse l’objet de confiscation ou d’interpellation ? Un juste retour des choses, loin de toute clameur victorieuse. Une réappropriation d’un espace d’expression indûment confisqué. Dans tous les cas, la libération des détenus porteurs de drapeaux amazighs est, certes, une bataille de gagnée, mais elle ne doit nullement occulter la vérité sur les droits et les libertés démocratiques durablement bafoués, une Alger assiégée, des opérations de fichage systématique des manifestants, mais aussi les nombreux détenus du Hirak enregistrés depuis les premières semaines de la révolte populaire. Des jeunes, dont souvent le seul tort est de s’être trouvés au mauvais moment et au mauvais endroit du Hirak. Ils sont beaucoup à croupir à la prison d’El Harrach ou ailleurs, en attente de comparution depuis des mois. Pour l’instant, ils n’ont que les larmes de leurs mamans pour les plaindre. Le Hirak leur doit bien assistance et soutien. Il leur doit bien une liberté !n
L’agresseur d’une avocate à Chlef arrêté et placé en détention provisoire
L’auteur présumé d’une agression à l’arme blanche contre une avocate près la Cour de Chlef, au sein même de son bureau, a été arrêté et placé en détention provisoire, a annoncé hier le ministère public de cette Cour dans un communiqué.
« Conformément à l’article 11 du Code de procédure pénale, le ministère public près la Cour de Chlef informe que les services de la Sûreté de wilaya ont reçu, en date du 2 septembre 2019, un appel faisant état d’une agression à l’arme blanche contre la dame Boughari Wassila, avocate près la Cour, dans son bureau même », précise le communiqué.
« Les investigations ont conduit à l’arrestation de l’auteur présumé, qui a été présenté, le 3 septembre 2019, devant le Parquet et une instruction judiciaire a été ouverte à son encontre pour le crime de tentative d’assassinant avec préméditation et les délits de tentative de vol avec violence et agression d’un avocat dans l’exercice de ses fonctions », précise la même source qui ajoute que «le juge instructeur a rendu à son encontre une ordonnance de placement en détention provisoire ».