ZOHEIR ABERKANE
Confronté depuis cinq semaines à une gestion sécuritaire plus musclée, le Hirak est soumis depuis peu à de nouvelles formes d’interpellation. Après l’affaire du drapeau amazigh, voici venu le temps des pancartes…
Le discours, sans ambages, du chef de l’état-major et vice-ministre de la Défense, prononcé le 19 juin dernier à partir de Béchar, a eu pour conséquence, suite aux « ordres et instructions fermes (qui) ont été donnés aux forces de sécurité afin de faire respecter strictement les lois en vigueur… », l’interpellation et la mise sous mandat de dépôt de nombreux citoyens pour avoir porté et brandi l’emblème amazigh. Cela a donné lieu, aussi, à des brutalités policières, dont la plus violente a eu lieu le jour de la fête de l’indépendance, le vendredi 5 juillet 2019.
Citoyens, activistes du Hirak, classe politique et acteurs des pôles alternatifs ont été choqués de la tournure prise par cette décision, saugrenue et pour le moins inattendue, du vice-ministre de la Défense et, surtout, l’interprétation qui en a été faite par le parquet, invoquant l’article 79, relatif à l’atteinte à l’unité nationale, pour justifier la rigueur et la dureté des mesures prises.
Ni les sit-in devant les tribunaux ni le boycott des collectifs d’avocats des audiences d’appel ne feront fléchir l’institution judiciaire et les magistrats instructeurs, à Alger en particulier où la proximité du centre politique semble exercer une forte influence sur les décisions du parquet. Pour preuve, dans une affaire similaire à Oran, de port de drapeaux amazigh, les mis en cause ont été mis sous contrôle judiciaire, au lieu et place du mandat de dépôt, en attendant leur comparution prochaine. Idem dans le cas de la jeune fille de Jijel, arrêtée le 12 juillet dernier, et pour le même chef d’accusation, elle écope de 2 mois de prison avec sursis et de 20 000 DA d’amende. Mais cela est loin d’être une règle. A Chlef, deux porteurs de drapeau amazigh se retrouvent sous mandat de dépôt avec, en sus, « l’acharnement et la maltraitance des gardiens, des autres détenus et du personnel médical de la maison d’arrêt de Chlef », selon un collectif de soutien.
De vendredi en vendredi, moins d’apparitions de drapeaux amazighs, à Alger du moins, alors qu’à Béjaïa, Tizi Ouzou et Bouira, ils restent majoritairement présents aux côtés de l’emblème national, ce qui, pour certains laudateurs du grand chef, conforte la thèse de l’existence dans les régions berbérophones d’un sentiment séparatiste puissant et attentatoire à l’unité nationale. Pourtant, les Algériens ont unanimement, depuis le 21 juin, démontré leur attachement profond et sans concessions, à l’identité amazighe et à l’appartenance nationale. Les rares et furtives exhibitions du drapeau amazigh ont eu pour effet d’engendrer moins d’arrestations au sein d’un Hirak toujours sous tension.
Pancartes et banderoles sous haute surveillance
« Voici revenue l’ère de la ciguë, des autodafés, du criquet bleu et la qwada à tout bout de champ ». Ainsi parlait le poète(*), il y a de cela trente-sept ans, au lendemain des arrestations répétitives et de la répression ayant suivi le printemps berbère.
Les places fortes du mouvement de contestation populaire sont désormais interdites au Hirak. Grande-Poste, Place Audin, tunnel des Facultés, trémie place Maurétania et même les surélévations des bouches de métro, ces promontoires face à la mer des manifestants, aspergés d’huile de vidange, sont devenus des no man’s land. Trottoirs proscrits aux passants, espaces réduits à la portion congrue, les allées du Hirak sont serties de saphirs aux allures de menhirs.
Depuis deux vendredis, au moins, c’est la chasse ouverte aux pancartes et aux banderoles. Plutôt à Alger, il y eut d’abord la mise hors d’état de « séduire » du comité du Hirak, sis rue Didouche Mourad, quartier Meissonnier. Des jeunes qui s’étaient organisés dès le début du mouvement de contestation populaire pour faire de leur quartier un pôle d’expression attractif en phase avec le Hirak. Leurs banderoles XXL qui pendaient aux balcons attiraient chaque vendredi des milliers de personnes avides de connaître le dernier thème « Hirakiste » des enfants de Didouche Mourad. A défaut de drapeaux berbères, on se rabat sur les banderoles et pancartes. De nombreux cas de confiscations brutales de pancartes et de banderoles ont été signalés lors des manifestations populaires du vendredi et estudiantines du mardi.
Pour peu que la pancarte mentionne le mot « généraux » ou beaucoup moins que ça : « nom : faucille, fonction : girouette », elle s’attire les foudres de la « police des mots ». Chez les étudiants, comme rapporté dans nos précédentes éditions, c’est une banderole, confisquée deux fois de suite, et portant la mention « NON à la mafia politico-financière » qui a fait les frais de la résurgence d’une forme de police politique. Le Réseau contre la répression a eu droit, lui aussi, aux élans de la confiscation, avec deux banderoles portant l’intitulé du réseau, retenues depuis en otage.
Mais là où cela devient inquiétant, c’est la tournure prise avec la condamnation du jeune supporter de l’EN, expulsé par les autorités égyptiennes pour avoir brandi une pancarte sur laquelle était écrit : « Yetnahaw Gaâ » et condamné à un an de prison ferme pour un délit que répètent des centaines de milliers, voire des millions d’Algériens chaque vendredi.
Plus inquiétant encore, la condamnation cette fois-ci, à une amende de 500 000 DA du jeune blogueur de Drean, dans la wilaya d’El Tarf, Guerfa Zakaria Elmounkid, pour avoir porté une pancarte prônant « Dawla Madania machi askaria » (Etat civil et non militaire). Là aussi, pancarte portée et mot d’ordre scandé, à gorges déployées, chaque vendredi.
A la veille du 23e vendredi du Hirak, allons-nous assister à un durcissement des mesures, déjà suffisamment coercitives, à l’endroit des détenteurs de pancartes et de banderoles porteuses de revendications à forte valeur symbolique ? La liberté d’expression et l’acte de dire deviennent, désormais, des enjeux vitaux pour le Hirak.