L’ancien ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, succède à Ahmed Ouyahia (en détention provisoire depuis le 12 juin dernier) à la tête d’un parti, le Rassemblement national démocratique, qui subit, lui aussi, de plein fouet l’extraordinaire révolution populaire en cours depuis le 22 février et qui est en passe d’occasionner une véritable refonte du paysage politique national. Bref, l’homme hérite d’une situation peu enviable, y compris à l’intérieur même d’un parti que traversent plusieurs courants depuis sa création déjà. Pour sa première sortie publique depuis son élection comme secrétaire général par intérim, Mihoubi nous parlera de tout cela, mais aussi de bien d’autres questions.
Le Soir d’Algérie : Vous venez d’être élu à la tête du RND, un parti en difficulté, fortement contesté par le mouvement populaire et dont l’ancien SG est sous mandat de dépôt… Dans quel état avez-vous réellement trouvé le RND ?
Azzedine Mihoubi : Notre première priorité était d’éviter une situation de vide, qui menaçait le parti dans son existence. Le bureau national s’était alors réuni et a décidé de l’élection d’un nouveau secrétaire général. Dans l’urgence, il fallait réunir les deux tiers du conseil national. Ils étaient, en fait, 357 membres sur les 410 que compte le conseil à répondre à l’appel et à élire un secrétaire général intérimaire, à l’unanimité. Car le parti compte ouvrir une nouvelle page et livrer un message fort, à la fois à ses militants pour les rassurer et à ses partenaires politiques pour leur signifier qu’il est à nouveau prêt à travailler avec eux, dans l’intérêt exclusif du pays.
A cet égard, je tiens à affirmer que le RND demeure fidèle à ses principes fondateurs consubstantiels à sa ligne politique « novembriste, républicaine et patriotique », ayant présidé à sa création, dans un contexte où, rappelons-le, l’Etat Nation algérien était menacé dans son existence et ses fondements.
Aujourd’hui plus que jamais, le RND réitère son soutien indéfectible aux institutions de l’Etat, a fortiori, dans cette conjoncture charnière qui requiert la mobilisation, sans exclusion, de toutes les énergies nationales soucieuses de l’intérêt de l’Algérie.
A ce titre, notre famille politique soutient et adhère pleinement à la démarche qui prône un dialogue national inclusif entre toutes les composantes sociétales, lequel dialogue doit être couronné par la tenue, dans les meilleurs délais, d’une élection présidentielle libre et transparente qui consacre le choix souverain du peuple algérien.
Vous êtes favorable à la démarche du panel ?
Le panel pour la médiation et le dialogue est constitué de personnalités nationales intègres et des experts , et a pour mission, non pas d’être partie prenante au dialogue, mais le diriger. Il convient de rappeler que le panel a pour vocation et mandat d’être un facilitateur dudit dialogue entre tous les protagonistes sans exclusif, et non partie prenante. Il se doit, de ce fait, d’être neutre et à équidistance de toutes les parties prenantes. C’est, en quelque sorte, le rôle d’un architecte qui a pour mission de concevoir la plateforme générale de ce dialogue.
A ce titre, la mission du panel est d’aboutir à un consensus national, le plus large possible, sur les conditions et les modalités d’organisation de l’élection présidentielle. L’objectif étant, in fine, de réunir les conditions idoines et optimales pour la tenue d’un scrutin présidentiel libre et transparent, dont les résultats seront incontestables.
C’est là l’objectif principal du mandat du chef de l’Etat qui n’a pas vocation à engager le pays dans des réformes structurelles institutionnelles, économiques et sociales, lesquelles doivent nécessairement être menées par le président de la République démocratiquement élu en toute légitimité et disposant, pour cela, de la confiance des citoyens.
D’aucuns appellent à l’exclusion des partis de l’ex-Alliance présidentielle du processus du dialogue et même à leur dissolution.
Soutenir de telles inepties, au demeurant foncièrement antidémocratiques, procède d’une logique systématique d’exclusion, de nihilisme et de négationnisme, qui est à l’antipode des aspirations légitimes du peuple algérien exprimées depuis le 22 février dernier, en faveur d’une ouverture et d’un renouveau démocratique. Un tel appel à l’exclusion de tel ou tel parti s’inscrit également en porte à faux avec le choix souverain du peuple algérien, désormais seul juge et arbitre. Ceci dit, il est pour le moins inacceptable qu’un parti politique demande la dissolution d’un autre parti politique… incroyable ! Les tenants de cette thèse n’ont jamais bénéficié de la confiance du peuple et sont viscéralement réfractaires aux urnes. Malheureusement, la nouvelle réalité politique en Algérie a été dominée par la culture du populisme et le discours de l’exclusion.
Le RND ne s’est jamais départi de cette image de parti « de la fraude » qui lui colle depuis sa création.
C’est injuste et faux à la fois. Le Rassemblement est, au contraire, un parti qui a toujours été lésé lors des différents scrutins. Le parti a toujours fait confiance à ses propres militants et à leur engagement sur le terrain. Comme tout le monde, le RND a peut-être commis des erreurs. Nous ne sommes pas des anges. Nous sommes un parti ordinaire, comme tous les autres, et jamais, en tout cas, un parti privilégié.
S’agissant de la fraude électorale, il importe de rappeler qu’à l’instar d’autres formations politiques, le RND a déjà été victime de ce fléau. Les élections législatives de 2002 (et d’autres joutes, d’ailleurs) ont eu le mérite et la vertu, en dépit du recul de notre parti, de laver le RND du soupçon de la fraude.
Nous nous inspirons des aspirations et attentes du peuple pour en faire notre nouvelle feuille de route. Seul le peuple et ses multiples segments peuvent nous guider, nous tracer la trajectoire et à nous d’en faire le reste conformément aux lois de la République et à l’éthique qu’exige l’exécution de l’acte politique.
Dans les conditions que vit le pays et eu égard au haut degré de maturité politique que l’on observe actuellement , il nous est interdit, voire haram de ne pas se placer au diapason de ce même niveau. C’est pourquoi nous estimons que des actions osées et réfléchies doivent être menées afin d’être une force politique utile et efficace.
Quelles sont vos priorités, s’agissant du parti ? Allez-vous procéder à la recomposition du bureau national ?
La priorité aujourd’hui est à l’unité des rangs au sein de notre famille politique, de sorte à ce que celle-ci puisse agir en bloc monolithique et apporter sa contribution au grand dessein « républicain » qui se profile à l’horizon, en perspective de la prochaine élection présidentielle.
Dans le cadre de sa contribution au dialogue national inclusif, le RND s’attelle présentement à l’élaboration et la finalisation d’un projet de proposition pour une sortie de crise rapide. La proposition intitulée « Vers une mutation républicaine » décline les vues, les positions et la conception de notre famille politique en vue d’un renouveau républicain en Algérie. Nous considérons au RND que l’Algérie a déjà connu sa mutation démocratique depuis l’ouverture pluraliste de 1989 à la faveur d’une expérience démocratique pionnière dans le monde arabe et en Afrique, or, la dimension républicaine (acception plus large qui englobe la démocratie) a toujours été le parent pauvre en Algérie. Cependant, il appartient au futur président de la République démocratiquement élu d’en définir les contours, la portée et la profondeur.
Vous êtes favorable à la démarche qui plaide pour une élection présidentielle précédée par un dialogue national. Ne pensez-vous pas que le niet catégorique que l’armée a signifié aux préalables du panel est de nature à entraver cette démarche ?
Je tiens, tout d’abord, à rendre un hommage particulier à l’Armée nationale populaire (digne héritière de l’ALN) pour son patriotisme, son engagement et son professionnalisme, outre sa mobilisation permanente au service de la sécurité de notre pays et la protection du peuple et des institutions de l’Etat, dans un contexte géopolitique et un voisinage immédiat empreint d’enjeux et de défis sécuritaires multiformes (terrorisme, crime transnational organisé, migration…).
En sus de ses missions constitutionnelles qu’elle assume pleinement avec honneur, l’ANP a fait siennes les revendications populaires dont elle a concrétisé les légitimes d’entre elles, je dirais même qu’elle a protégé et accompagné ces revendications, en se portant également garante de tout le processus.
Nous saluons l’attachement de l’ANP à ses missions régaliennes constitutionnelles, en dépit des velléités vaines de l’impliquer dans le champ politique.
Quant aux préalables auxquels vous faites allusion, l’essence même du dialogue est de se départir de tous les préalables, les préjugés, les clichés et les idées préconçues, encore moins les conditions entravantes , comme condition sine qua non du succès du dialogue.
De plus, au lieu de se concentrer sur les préalables comme facteur de dissension et de divergence, il serait plus utile et plus bénéfique de se concentrer sur le facteur de convergence, à savoir : l’objectif du dialogue qui fait consensus, celui d’aboutir, dans les meilleurs délais, à une élection libre et transparente.
Mais l’élargissement de détenus d’opinion aurait quand même contribué à détendre l’atmosphère et permettre de débloquer la situation.
Les mesures d’apaisement et de confiance auxquelles vous faites référence devraient être la disposition de toutes les parties au dialogue, sans préalables, et dans la prévalence des intérêts exclusifs de l’Algérie, et le strict respect des constantes nationales inscrites sur le marbre constitutionnel.
Vous faites un abcès de fixation sur « les détenus d’opinion », dont la définition est du ressort exclusif de la loi, et, par conséquent, de l’apanage de la justice, celle-ci étant désormais libre et souveraine, elle a toute la latitude d’en définir les contours juridiques. Seule la justice est habilitée à s’ y prononcer . Même quand il y a décision politique, la justice est incontournable. Rappelez-vous les mesures prises dans le cadre de l’application de la loi sur la réconciliation nationale. Systématiquement, il a été fait appel à la justice pour statuer sur chaque cas. Laissons donc la justice faire son travail et nul n’a le droit de l’influencer.
Une lutte implacable contre la corruption est en cours actuellement. Quelle lecture en faites-vous ?
Il s’agit, d’abord, d’ une revendication populaire, celle d’un peuple qui aspire à un Etat de droit, à une justice indépendante et souveraine. Ceci pour le principe. Depuis quelques semaines, la justice traite de nombreux dossiers liés à la corruption. Et quand la justice entame son travail au nom du peuple algérien, le politique, lui, doit s’abstenir de faire le moindre commentaire. Il s’agit, là, d’un signe de confiance entre le citoyen et sa justice. Pour preuve, l’œuvre d’assainissement et de renouvellement de l’encadrement de l’État, à travers notamment une lutte implacable et résolue contre la corruption et contre l’impunité, qui connaît des avancées incontestables, est un gage de bonne foi de la part des pouvoirs publics et de la justice.
L’actuel chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, est militant et responsable au sein du parti. Est-il intervenu ou a-t-il été consulté à l’occasion du dernier conseil national où il a été question de votre élection ?
Le chef de l’Etat, qui incarne l’unité de la Nation, est au-dessus de toute appartenance politique, idéologique ou autre. D’ailleurs, dois-je vous confier qu’avant même sa prestation de serment, Monsieur Abdelkader Bensalah a gelé toute activité et présence au sein du parti. Vous aurez d’ailleurs remarqué son absence lors du conseil national extraordinaire du parti. Il a une mission noble et combien délicate qu’il est en train d’accomplir avec beaucoup de courage, dans une conjoncture sensible et compliquée.
On dit que le RND a enregistré une véritable saignée au niveau de sa base.
Pas du tout! Au contraire, nos militants demandent beaucoup de changements dans la gestion et la conduite des affaires du parti. Attendez-vous à un hirak intra-partisan démocratique, constructif et serein au sein de notre parti, qui aboutira à l’émergence de nouveaux idéaux et d’inédites approches politiques novatrices, en droite ligne des revendications populaires.
A ce titre, je vous annonce déjà que nous allons bientôt activer l’ensemble des commissions du parti et procéder à l’installation d’une nouvelle structure, dénommée « Commission consultative » qui sera composée de cadres et de compétences du parti. En parallèle, nous avons mis au point un programme de travail sur le terrain, à travers toutes les wilayas, en adoptant une méthode axée sur le militantisme de proximité et l’adhésion des jeunes.
Il est vrai que chez les citoyens dans leur ensemble, le RND, à l’instar de bien d’autres formations politiques, tend à rappeler une période révolue, une pratique non sans équivoque tant avec ses échecs qu’avec ses succès. Nous œuvrons, sur ce plan, à changer la perception citoyenne sur ce sigle et sa résonance, en tout état de cause, on ne ménagera aucun effort pour ce faire. J’espère dire, un jour, le Rassemblement tout court au lieu du Rassemblement national démocratique (rires).
K. A.