L’infatigable militant
Tout mon parcours montre bien que je ne suis pas un démocrate… Mais je fais cet effort sur moi-même ! Hervé Bourges avait écrit dans L’Algérie à l’épreuve du pouvoir que pour moi, « la démocratie était le mariage de la liberté et de la force, en donnant la préférence au second conjoint… » J’ai désormais évolué, je préfère la liberté. » En visite officielle en France entre le 15 et le 17 mai 2000, Bachir Boumaza, président de la Chambre haute du Parlement, tenait cette étonnante profession de foi. La quête forcenée pour la liberté se confond sans doute avec le riche parcours de ce militant de haute voltige. Le 2 octobre 1961, il s’évade de la prison de Fresnes, déguisé en… curé. Bachir Boumaza, un pur produit du mouvement national dans sa version panarabiste.
Proche collaborateur de Messali Hadj, il joue un rôle important dans la crise de 1949 en apportant son soutien à la tendance « arabo-islamique » contre les tenants d’une ligne « berbéro-laïque ». Cette ligne de démarcation l’accompagnera toute sa vie. « Il y a bien sûr une place pour le berbère, mais est-ce une langue nationale ? Je vais demander son avis au président Chirac, qui a refusé la recommandation européenne sur les langues régionales », déclarait-il à la presse lors de sa virée parisienne. Sa carrière politique ? Jalonnée de rebondissements. Ses rapports avec les chefs d’Etat de l’Algérie indépendante, difficiles, empoisonnés. Député de Annaba à la première Assemblée constituante (septembre 1962), il devient ministre du Travail et des Affaires sociales dans le premier gouvernement de Ben Bella, puis hérite du superministère de l’Economie (finances, commerce et industrie) et négocie en janvier 1964, à Paris, l’avenir des relations économiques algéro-françaises. Sa lune de miel avec le président Ben Bella, dont il est l’un des hommes de main, est furtive. Un nuage d’été. Le commandant Azzedine, dans un témoignage paru dans la presse, évoque la période au cours de laquelle Bachir Boumaza a basculé dans les bras de Boumediène : « Boumaza était l’homme du président, mais Ben Bella a voulu l’enlever de son poste et mettre à sa place Medeghri. Ce dernier a refusé tout en le faisant savoir à Bachir Boumaza. Ce dernier avait dit à Omar Oussedik : « Si jamais on m’apprend qu’il y a une embuscade montée contre Ben Bella, même si je suis dans le convoi, je ne l’avertirai pas au risque d’y laisser ma peau. » »
Au lendemain du coup d’Etat du 19 juin 1965, Bachir Boumaza rallie le camp des putschistes, devient membre du conseil de la Révolution, ministre de l’Information. Jusqu’au 9 octobre 1965. Son départ du premier gouvernement de Boumediène se fera avec fracas. Il quittera clandestinement l’Algérie et se réfugiera en France, échappant ainsi à une arrestation pour cause de présumée participation à un « complot » contre Boumediène. Sur ces entrefaites, Boumaza joint sa voix à celle de l’opposition conduite par Mohamed Boudiaf et son parti, le Parti de la révolution socialiste (PRS), le Front des forces socialistes fondé par Hocine Aït Ahmed. Il rejoint l’Organisation clandestine de la Révolution algérienne (OCRA) de Mohamed Lebjaoui. « Ce qu’il faut avant tout, c’est retrouver l’unité d’action de tous les mouvements d’opposition. Nous avons au moins un dénominateur commun, c’est la condamnation du régime issu du coup de force du 19 juin. Il faut donner au peuple la possibilité de s’exprimer librement », se confiait à l’AFP l’opposant Bachir Boumaza. Il échouera dans ses tentatives de se rapprocher du FFS et de constituer un pôle d’opposition au régime de Boumediène, notamment avec le Rassemblement unitaire des révolutionnaires (RUR). Boumaza s’installe à Lausanne et ne rentre au pays que treize ans plus tard, en août 1979. L’ouverture politique post-octobre 1988, ne l’incitera pas à prolonger ou rentabiliser sa… carrière d’opposant. « Je me reconnais dans les partis qui existent et dans le FLN, mais dans aucun entièrement. »Il crée la fondation du 8 Mai 1945 en mai 1990. Bachir Boumaza ne reprend du service que sous le président Zeroual.
Fin lettré, issu de la petite bourgeoisie sétifienne, d’une grande prestance, Boumaza est désigné le 5 janvier 1998 à la tête du Sénat, la Chambre haute. La « cohabitation » avec le successeur de Zeroual, Abdelaziz Bouteflika, qui deviendra président en avril 1999, est difficile. Voire impossible. Le poids des conflits historiques, les vieilles rivalités ont eut raison de lui et de son poste. Il sera éconduit sans ménagement, à mi-chemin de son mandat de six ans, mais non sans avoir tenu tête à Abdelaziz Bouteflika, notamment sur le fonctionnement du Sénat. Il saisit le Conseil constitutionnel et déclare à plusieurs reprises qu’il n’entendait pas partir tant que cette institution ne se serait pas prononcée sur la régularité de la procédure visant le renouvellement du président du Sénat. Boumaza sera déposé en avril 2001, laissant son poste à un autre cacique du système, Mohamed Cherif Messaâdia. « Entre le double risque d’être une chambre d’enregistrement et un barrage systématique, je dis que le Sénat doit être une écluse qui régule les flux… Même si j’ai un peu de mal à faire comprendre le principe de l’écluse dans des pays secs comme ceux du Maghreb (…). N’est-ce pas un penseur français qui a écrit : « Lorsque le chemin est difficile, la difficulté devient le chemin ? » », disait le défunt Bachir Boumaza, qui s’est éteint hier à Genève à l’âge de 82 ans.
Par Mohand Aziri