Pour être grande et vaste, elle l’est effectivement. Elle s’étend sur une superficie de 500 hectares, soit 5 km2. Beggas ainsi que les villages avoisinants sont connus pour “appartenir” à la tribu des Béni Khalfoun (Ath Khelfoun, avec la consonance kabyle).
Le titre du roman de John Steinbeck, The long valley (La grande vallée) publié en 1938, convient parfaitement à la localité de Beggas, relevant de la commune de Kadiria (nord-ouest de Bouira). Pour être grande et vaste, elle l’est effectivement. Elle s’étend sur une superficie de 500 hectares, soit 5 km2. Beggas ainsi que les villages avoisinants sont connus pour “appartenir” à la tribu des Béni Khalfoun (Ath Khelfoun, avec la consonance kabyle). Selon la légende, cette tribu de marabouts, mais aussi de redoutables guerriers, était particulièrement redoutée par les autres tribus durant l’ère coloniale et même bien avant. Les membres de cette tribu ou aarche avaient la spécificité d’être des gens assez conservateurs et plutôt orgueilleux, frisant même l’arrogance, raconte-t-on. Pour se rendre dans la vallée des Béni Khalfoun, rien de plus simple. Une fois arrivés au chef-lieu de la daïra de Kadiria et précisément devant le siège de l’APC, on doit bifurquer à droite et emprunter le CW48 la reliant à la commune de Tizi Ghennif (Tizi Ouzou). Ce chemin de wilaya est totalement escarpé, étroit et sinueux, mais à notre grande surprise, entièrement bitumé. Devant nous, des oliveraies à perte de vue. Mais hélas, elles sont pratiquement laissées à l’abandon.
Qu’elle était verte ma vallée…
En contrebas, on aperçoit ce que fut jadis un immense verger, appelé communément El-Madjen, où les orangeraies, figuiers et autres vignobles constituaient la richesse et la fierté de toute la région. Aujourd’hui, elle n’est plus qu’une vaste décharge sauvage… Soudain, on se remémore un autre roman, de Richard Llewellyn, au titre plus qu’évocateur : How green was my valley (Qu’elle était verte ma vallée…). En effet, cette vallée est désormais laissée à l’abandon. Livrés à la misère et au sous-développement, les villageois de cette bourgade vivent dans l’indigence et la précarité les plus absolues. Ce paradis terrestre s’est métamorphosé au gré des tragédies qu’a connues le pays, et cette région en particulier, en un vaste territoire hostile. Il est vrai que ce hameau d’à peine 5 000 âmes est dépourvu de tout aménagement digne de ce nom et de toutes les commodités nécessaires au bien-être des citoyens. Lors de notre ascension en cette journée estivale, nous avons pu croiser des villageois à l’humeur joviale, respirant la joie de vivre et surtout donnant l’impression d’être satisfaits de leur quotidien. “Cette terre, c’est tout ce que nous avons.
Nous sommes contents d’y vivre malgré les aléas de la vie”, dira Rabah, un homme d’un certain âge, mais à l’allure fringante et à l’humour décapant. “Les jeunes d’aujourd’hui ont du mal à tenir leur pantalon, nous, nous avons du mal à l’enlever, tant on est épris par le travail. C’est toute la différence…”, lancera-t-il tout sourire. À Beggas, l’horloge du temps semble s’être arrêtée à une époque qu’on croyait révolue, voire disparue. Celle où il faisait bon vivre. Les villageois ne se soucient de rien ou presque. Les discussions au café du village sont aux antipodes de celles des salons feutrés d’Alger. On évoque la baisse du mercure et l’apparition des premières rosées matinales ou encore de la bonne qualité des figues de cette saison. Des discussions terre-à-terre et tellement rafraîchissantes. Cependant, et au détour d’une ruelle, nous sommes tombés nez-à-nez avec un sexagénaire au visage fermé et aux rides bien marquées. Il s’agit d’ammi Ahmed, un de ces hommes qui imposent le respect par un simple regard. Il fait mine de ne pas nous voir et poursuit son chemin.
Interrogé sur son quotidien, il nous lancera d’un air agacé : “Je n’ai pas le temps de raconter ma vie et surtout à des étrangers.” Mais devant notre insistance, aami Ahmed accepta de nous parler de sa situation. “Je vis ici depuis toujours, la misère, la souffrance et le désespoir sont notre lot quotidien, celui de tous le villageois de Beggas”, assénera-t-il. Interrogé sur les commodités dont dispose son village, notre interlocuteur s’arrêtera un court instant, fixera l’horizon et tonnera : “Vous voyez une quelconque commodité ? Moi, je n’en vois aucune. Ni gaz, ni eau potable, ni routes… Tout est à l’abandon.” Avant que nos chemins ne se séparent, ce brave vieux nous dira : “Moi, je suis une vieille carcasse. Si vous voulez, allez voir nos jeunes, ils vous diront combien la vie est dure et impitoyable par ici.”
Ni polyclinique, ni antenne communale, ni…
Poursuivant notre périple, nous sommes tombés sur des jeunes du hameau de Thala W Ghanim (source du Roseau), à 7 kilomètres de Beggas. Visiblement intrigués par notre présence, l’un d’eux, Hichem, un jeune chômeur de 24 ans, nous abordera : “Vous, vous êtes de la ville. Ça se voit au premier coup d’œil.” Que venez-vous faire dans ce bled perdu ?” Après les présentations d’usage, ce jeune brun au gabarit impressionnant dira tout souriant : “Hum, un journaliste… Venez voir et tâchez de relater fidèlement ce que vous avez vu.” Puis, il nous invitera chez lui. “Entrez. Voyez par vous-mêmes dans quelle précarité on survit…” Il est vrai que la modeste demeure de ce jeune villageois ne payait pas de mine… Murs en brique, toitures en zinc, le tout s’étalant sur une surface d’à peine 20 m2. Outre son aspect extérieur, cette maison, si on peut appeler cela ainsi, n’avait ni gaz ni eau courante. Bref, une bicoque implantée au beau milieu de nulle part. “J’ai dû quitter les bancs de l’école au BEM pour travailler et aider mes parents.
Mes deux sœurs et mon petit frère ont eu beaucoup plus de chance que moi, ils poursuivent leur scolarité au lycée et au CEM”, a-t-il dit avec un certain regret. Son père, un monsieur d’un certain âge et fermier de son état, prendra ensuite le relais, en expliquant qu’à certains moments, il avait songé à quitter cet “enfer”, mais faute de moyens, il s’est finalement résigné à y rester. “La vie ici est impossible. On n’a absolument rien. On vit encore à l’âge de pierre”, dit-il. Et d’assener : “Le temps s’est arrêté à Thala W Ghanim.” Pour d’autres villageois, et malgré le fait que la situation sécuritaire se soit nettement améliorée, il n’en demeure pas moins que les commodités de base restent très en deçà des attentes. “Les infrastructures de base sont inexistantes.
Ni polyclinique, ni antenne communale et encore moins le transport, sans parler des écoles. Nos enfants sont scolarisés soit à Kadiria, soit à Tizi Ghennif (…) Les postes d’emploi, aussi bien à Kadiria qu’à Tizi Ghennif, sont très rares”, soulignent nombre d’entre eux. Pour rappel, les villageois de Beggas avaient, au mois de décembre 2015, interpellé le wali de Bouira par le biais d’une pétition, dans laquelle ils se sont dits “abandonnés et marginalisés”. En effet, les auteurs de cette pétition ont relevé le fait que “le village de Beggas vive dans une extrême précarité”, tout en égrenant les nombreuses carences dont ils souffrent. “L’eau potable se fait toujours attendre, et ce, malgré le lancement en 2014 du projet de raccordement au réseau AEP”, avaient-ils indiqué. Un peu plus loin, les signataires de cette pétition attirent l’attention du wali sur le fait que “le réseau d’assainissement de notre localité date des années 1990 et se trouve dans un état de vétusté des plus avancées”. Des préoccupations qui, à l’évidence, n’ont trouvé aucune écoute.
Le chemin de wilaya est totalement escarpé, étroit et sinueux. ©Ramdane Bourahla/Liberté
Notre mère la Terre…
En dépit de ces insuffisances, plusieurs familles ayant quitté leur village natal, durant les années de braise, ont décidé d’y retourner et reprendre le cours de leur vie. Ainsi, des dizaines de familles commencent à “repeupler” les divers hameaux de Beggas à la faveur du retour de la sécurité. D’ailleurs, les terres, longtemps laissées en jachère, sont désormais délimitées par leurs propriétaires en vue de les entretenir et les fructifier. “Après le retour au calme, vers 2008, j’ai décidé de rentrer chez moi, mais je n’avais même pas l’ombre d’un toit pour abriter ma famille. Suite à quoi, j’ai sollicité l’aide de l’État dans le cadre du programme d’aide à l’habitat rural. À ce titre, je tiens à le préciser, j’ai eu toutes les facilitations nécessaires. Et en 2012, je me suis définitivement installé ici et je travaille actuellement dans l’agriculture”, témoignera Saïd, fermier de son état. D’autres villageois déclarent également avoir bénéficié des aides de l’État afin de retourner dans leurs villages. “Vers 1993, au tout début des années noires, nous nous sommes résignés à quitter notre terre natale (…) Aujourd’hui, et Dieu merci, le retour au calme m’a permis de revenir et de travailler ma terre”, indiquera un villageois.