La réforme économique est d’abord une œuvre politique. Le ministre des Finances Abderrahmane Benkhalfa l’apprend à ses dépens.
Une dose de langue de bois, une pincée de réforme, beaucoup de culot, et une part d’amateurisme: le nouveau Benkhalfa est arrivé. Durant le traditionnel exercice qui consiste à présenter et défendre le projet de loi de finances devant le Parlement, le ministre des Finances a fait preuve d’un art consommé dans la défense des inconciliables. M. Abderrahmane Benkhalfa a en effet retrouvé son discours traditionnel sur la nécessité de changer l’économie algérienne, tout en vantant la politique du président Bouteflika qui allait dans une direction opposée. Tenant un discours de marchand ambulant, il veut vendre à la fois le changement et l’immobilisme, et défend, dans le même temps, les subventions maintenues par le président Bouteflika pendant une décennie, tout en promettant d’y mettre fin, au nom de l’efficacité économique.
Résultat des courses: M. Benkhalfa a allumé le front social, suscité des inquiétudes de grande ampleur, alors que les mesures annoncées ont un effet insignifiant sur la vie économique du pays. Ce n’est pas en augmentant le carburant de cinq dinars, ni en majorant une taxe sur l’électricité que le gouvernement risque de bouleverser les équilibres économiques du pays. L’effet est marginal, sans effet significatif. Le gain économique sera nettement inférieur à l’impact politique négatif – de ces décisions.
INCANTATIONS
M. Benkhalfa a aussi adopté un ton résolument patriotique pour relancer l’économie. Il a assuré, contre toute évidence, que l’argent placé en Algérie serait plus en sécurité que dans des banques à l’étranger. Cela suffirait, selon lui, pour convaincre les Algériens de rapatrier leur argent et de l’investir en Algérie, au moment où sont découvertes des filières opérant un transfert massif de devises vers l’étranger. Tenir de tels propos suffit à discréditer n’importe quel ministre. Quand c’est un ministre des Finances qui s’adresse à des détenteurs d’argent, cela prend une tournure grotesque. Que dire alors d’un ministre qui appelle au patriotisme alors qu’il côtoie, au sein du gouvernement, d’autres membres de l’exécutif publiquement accusés d’avoir touché des pots-de-vin ? Mais M. Benkhalfa ne se lasse pas. Il pense que ses incantations peuvent avoir de l’effet. Ou bien fait-il semblant de le croire ? Peu importe, le résultat est le même. M. Benkhalfa est rapidement devenu un véritable ministre algérien: il tient un discours totalement déconnecté du réel. Sur ce terrain, il n’a pas innové. Ses prédécesseurs ont agi de même. Ils ont gâché une occasion de mettre le pays sur orbite, et aucun d’entre eux n’a eu de comptes à rendre à personne.
UNE DEMARCHE DANGEREUSE
La démarche de Benkhalfa n’est toutefois pas dénuée d’intérêt. Elle est intéressante en ce sens qu’elle révèle la complexité de la situation de l’économie algérienne, et montre ce qu’il ne faut pas faire. Jusque-là, le ministre de l’Economie a changé peu de choses. La polémique sur le droit de préemption est une absurdité. L’impact est quasi nul. Les augmentations de prix sont marginales. Elles ne permettent pas de rentrées significatives d’argent, et ne corrigent qu’à la marge les distorsions de l’économie algérienne. Pourtant, M. Benkhalfa s’y est pris de manière tellement malhabile qu’il a réussi à enflammer le front social, alors qu’il avait dans la poche le premier syndicat du pays. Les partis de la majorité gouvernementale ont montré qu’ils n’avaient pas la présence nécessaire au sein de la société pour assumer ces décisions. Qu’en sera-t-il alors lorsqu’il faudra porter le prix du carburant au-delà de 50 dinars, et doubler le prix de l’électricité et de l’eau, pour aller vers des modèles économiques viables ?
TRAVAIL TECHNIQUE
Ce qui arrive à M. Benkhalfa montre, en fait, que les décisions à prendre pour réformer l’économie algérienne sont d’abord politiques. Il ne s’agit pas de corriger quelques paramètres et d’ouvrir le capital des entreprises publiques pour réussir le décollage économique du pays. Il faudra une démarche plus complexe, nécessitant l’intervention de nombreux acteurs, politiques, qui doivent travailler en commun pour élaborer une nouvelle démarche, et en définir les séquences dans le temps. La réforme économique elle-même apparaîtra alors comme une simple œuvre technique. Complexe, certes, avec des corrections à mener sur plusieurs fronts, l’introduction de nouveaux mécanismes plus modernes, et des négociations non-stop avec tous les partenaires, sur tous les fronts, ce qui demande une ingénierie très élaborée; mais elle demeure une tâche technique, du moment où un accord politique aura été trouvé sur les grandes lignes. S’y aventurer, comme le fait M. Benkhalfa, avec une administration aussi peu crédible est une garantie d’échec. S’y engager dans un climat politique aussi vicié relève de l’inconscience.