Et maintenant l’étouffante chaleur de l’été des Balkans: bloqués en Bosnie, des milliers de migrants doivent faire face à un adversaire de plus dans leur périple vers l’Union européenne.
Sous un ciel de plomb, Saleh Alhasan et ses camarades pressent le pas pour atteindre un bois et trouver un peu d’ombre. Ils viennent d’échouer dans une énième tentative, refoulés par les policiers croates qui s’emploient à leur barrer la route de l’Union européenne. «J’ai essayé plus de quinze fois… ça fait dix mois que j’essaye de passer. Et je ne veux pas renoncer. Je veux juste voir mon fils» né en Suède, raconte cet architecte syrien de 33 ans. «Je ne l’ai vu qu’en photo», dit-il. Son épouse faisait partie des centaines de milliers de migrants passés par la route des Balkans en 2015, avant la fermeture des frontières de l’UE. Sur un chemin poussiéreux, Saleh et ses compagnons passent près de plaques rouges accrochées aux arbres, avertissant que le terrain est miné, héritage des combats dans la région de Bihac (nord-ouest) lors de la guerre de Bosnie (1992-95). Ils ne s’interrompent que lorsqu’ils aperçoivent un ruisseau, promesse de fraîcheur pour les corps épuisés par une marche sous des températures excédant les 35°C. Ces marcheurs ne savent plus vraiment où se reposer. A Bihac et Velika Kladusa, près de la frontière croate, les centres d’accueil gérés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sont complets. Ils peuvent abriter 3.500 personnes. Alors ils logent dans des squats insalubres. Saleh envisage de regagner Sarajevo où «il y a plus d’options» pour une nouvelle tentative.
Tensions avec la population
Ralenti pendant l’hiver, le flux a repris et «une centaine de migrants arrivent tous les jours dans le canton» de Bihac, précise Ale Siljdedic, porte-parole de la police régionale. «Mais ces derniers temps, beaucoup moins de personnes réussissent à franchir la frontière. La Croatie a considérablement renforcé la présence policière dans cette zone», ajoute-t-il. Selon le ministère bosnien de la Sécurité, plus de 34.000 migrants d’Asie et d’Afrique sont illégalement entrés dans le pays depuis début 2018. Environ 8.000 se trouvent actuellement en Bosnie, selon la Commission européenne. Ce qui risque de tendre les relations avec une population locale pauvre et en proie aux difficultés économiques. Récemment, des centaines de migrants occupaient encore des espaces publics à Bihac, 65.000 habitants. Craignant la colère des habitants, les autorités ont mis en place en juin, avec l’aide de la Croix-Rouge locale, un campement à Vucjak, une zone inhabitée à une dizaine de kilomètres de la frontière. Ils y installent les migrants qui n’ont pas trouvé de place dans des centres de l’OIM. Selon l’ONU, la zone autour de ce campement est également minée, et il y a des risques d’explosion, le site étant une ancienne décharge.
«La jungle»
L’UE, qui finance les centres gérés par l’OIM, a refusé de le faire pour ce campement. Le maire de Bihac, Suhret Fazlic, affirme que c’est parce qu’il a été jugé trop proche de sa frontière. «La proximité de la frontière de l’UE peut éventuellement être un des facteurs mais, en l’occurrence, cela n’a constitué qu’un élément secondaire, tant le critère humanitaire a été déterminant», explique Nicolas Bizel, chef des opérations au sein de la Délégation de l’UE en Bosnie. Comme en France, dans le secteur de Calais, le campement a été baptisé «la jungle» par ses occupants. Plusieurs centaines de jeunes hommes y sont logés dans des conditions sanitaires déplorables, dormant dans des tentes sans lits, sans assistance médicale, douches ou toilettes. Plusieurs tonneaux munis de robinets permettent seuls d’entretenir un minimum d’hygiène. «Il fait trop chaud. Nous ne pouvons pas rester dans les tentes. La nourriture qui arrive deux fois par jour est tout ce que nous avons ici. Un peu d’eau aussi, et on survit avec ça», dit Suleman Ashraf, un Pakistanais de 29 ans qui veut rejoindre son frère en Espagne.