Bouira: Le marché toujours fermé

Bouira: Le marché toujours fermé

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L’Aïd, c’est une ambiance faite de bêlements des moutons depuis les balcons, le foin étalé partout et les enfants qui débattent autour du mouton le plus cornu.

La valeur et la portée religieuse de la circonstance tend à partir laissant la place à une célébration où il est plus question de viande, de barbecue, de grillades,…hélas! ils sont nombreux les enfants qui, le jour de l’Aïd, n’auront pas la chance de voir se débattre leur mouton.

Suite à l’apparition de l’épidémie de fièvre aphteuse, 22 cas recensés dans trois points précis, Taghzout, Aghbalou et M’Chedallah et parce que le marché de bétail de Bouira reste une plaque tournante nationale, le wali a décrété sa fermeture jusqu’à nouvel ordre. Cette décision qui représente un manque à gagner énorme à l’approche de l’Aïd, les habitués ont manifesté samedi dernier pour exiger la réouverture de l’espace.

En attendant le dénouement, beaucoup de maquignons n’ont pas hésité à recourir aux abords de ce marché pour effectuer leurs transactions commerciales.

La disponibilité des bêtes est essentiellement due au fait que la la partie sud de la wilaya de Bouira a toujours été une destination pour les éleveurs. Réputée pour sa production céréalière, toute la zone située entre El Hachimia et Dirah accueille les bergers en provenance de Sidi Aïssa et ses environs.

Les déplacements vers le nord sont une habitude en raison du manque de nourriture d’une part-mais aussi en raison des grandes chaleurs. L’après moisson libère des espaces immenses de paille. Les éleveurs qui louent ces espaces s’y installent quelquefois en famille avant de repartir au Sud à l’approche de l’hiver. La coïncidence de la célébration de l’Aïd avec cette période de transhumance reste bénéfique pour les acheteurs qui dénichent de bonnes affaires auprès de ces éleveurs. Un autre facteur influe sur le prix. La décision des pouvoirs publics de contrôler le flux vers la capitale a aussi sensiblement réduit le cout.

Par un passé récent, les intermédiaires, surtout eux, transféraient les ovins à bord de camions entiers vers les villes en périphérie d’Alger et dictaient leur loi. En interdisant ce genre de transfert, les autorités ont coupé l’herbe sous les pieds de ces maquignons circonstanciels.

L’alternative du boeuf collectif

L’esprit communautaire et l’esprit associatif sont les deux facteurs qui poussent de nombreux Algériens à cotiser et à sacrifier un bovin. Dans la partie nord de la wilaya et plus précisément les régions accrochées le long du flanc sud du Djurdjura on aime le taureau. La bête qui vit en montagne à l’état sauvage est très prisée.

«Médicalement parlant, le bovin est préférable au mouton en raison du fort taux de cholestérol dans la viande ovine», nous confie un médecin. Cet argument n’est pas le seul à être pris en compte par les citoyens. «Un bon mouton de 50.000 DA donnera au maximum 30 à 35kg de viande. Pour la même dépense vous aurez le double du poids en égorgeant un taureau», commente Ali, un retraité qui chaque année s’associe avec ses voisins. En marge de ces habitudes et us, de nombreux commerces prolifèrent. Déjà pour le boucher, il fallait s’inscrire il y a un mois. Les abattoirs et les professionnels du couteau ont leurs carnets pleins. Les jeunes, eux, acquièrent une motte de foin qu’ils revendent en petits lots. Les aiguiseurs des couteaux «tournent» à plein régime. L’Aïd c’est aussi cette ambiance faite de bêlements des moutons depuis les balcons, le foin étalé partout et les enfants qui débattent autour du mouton le plus cornu.

Les portefeuilles saignés une nouvelle fois.

Après les dépenses des fêtes, les vacances de l’été pour les plus chanceux, la rentrée scolaire qui se profile à l’horizon, une nouvelle fois les bourses seront mises à rude épreuve.

La loi des spéculateurs

L’approche de l’Aid El Adha a simplement fait flamber les prix. De la pomme de terre pour ne citer que ce légume, bas de gamme, au mouton, tout a subi une augmentation. La courgette, le haricot vert, la carotte, l’aubergine, la tomate… le raisin, la poire, la prune… ont tous connu une révision à la hausse de leurs coûts respectifs. Ces hausses sont différemment justifiées. Si pour le mouton, les arguments peuvent tenir la route, pour la pomme de terre c’est simplement une preuve de l’échec de tout un département. Les promesses d’une baisse du prix avec l’arrivée des récoltes de la saison et celles de l’après-saison, les chiffres importants d’une production avoisinant les 2 millions de tonnes, les facilités accordées aux producteurs, la gratuité de l’eau par exemple… n’ont pas affaibli le diktat des spéculateurs qui dictent leur loi sur le consommateur.

Pour revenir à l’évènement du moment, une virée dans les divers points circonstanciels de vente des bestiaux découragera le plus téméraire. Il est loin l’engagement du ministre de baisser le prix des bêtes à 20.000 DA. La canicule qui aura dominé les derniers mois, le manque d’aliment, les difficultés des éleveurs d’une région l’interdiction de transfert des bêtes d’une wilaya à une autre, ont fait qu’un mouton qui a coûté 35.000 DA l’année dernier est proposé à 45.000 cette année. Pourquoi ce bond avons-nous demandé aux vendeurs? Les réponses sont, comme pour les autres produits non convaincantes. Pour les éleveurs ces prix sont le fait des revendeurs. «Certes, l’aliment a beaucoup manqué, les dépenses et les frais ne sont plus ce qu’ils étaient, mais l’arrivée sur le circuit d’intermédiaires demeure la raison principale de cette flambée des prix.» Sur place, au marché à bestiaux de Bouira, ils étaient nombreux à proposer des moutons. Des fonctionnaires de l’administration, des enseignants, des commerçants jusque-là plongés dans d’autres filières se sont reconvertis en maquignons. Selon une source, ils s’alimentent auprès des petits éleveurs du sud de la wilaya, des régions de Sour El Ghozlane et même de Sidi Aïssa. Le fait de proposer trois à quatre ovins démontre qu’ils ne sont pas des spécialistes mais des intermédiaires, circonstanciels. Un éleveur de Aïn Ouassara nous confirmera la thèse selon laquelle. «J’ai cédé une dizaine de moutons au prix de gros; mes moutons je les ai retrouvés, mais avec des marges de plus de 10 000 DA ici à Bouira.» L’ouverture de l’autoroute et la réduction sensible dans la liaison entre Bouira et la capitale est un autre élément qui a influé sur les prix. La grosse demande est une aubaine saisie par les intermédiaires.