Abdenour MERZOUK
La production du lait à Bouira avait pour objectif de voir celle-ci devenir un bassin laitier qui compte à l’échelle nationale.
Alors qu’au mois de Ramadhan la rareté du lait en sachet semblait être justifiée par la forte demande en raison des entremets et des flans qui garnissaient les tables, aujourd’hui rien n’explique pourquoi le lait reste introuvable. Même quand il est disponible, les commerçants le cèdent en recourant à la vente concomitante. En plus de trois sachets, le client est prié de prendre soit un sachet de lait de vache à 50 DA ou un sachet de « Cherbet », de lait caillé.
La wilaya de Bouira connait une crise sans pareille sur le lait. Quand il est disponible à des heures précises de la journée, il est vendu au compte-gouttes et quelquefois sous le comptoir. La cause essentielle de cette pénurie reste la faiblesse de la production face à une demande de plus en plus grande.
Ce constat révèle un paradoxe et des interrogations. Il y a quelques années, les services agricoles vantaient les mérites de la wilaya et son projet de devenir un bassin laitier national. On évoquait par le passé, 69.000 têtes ovines dont 39.000 vaches laitières. Côté production on annonçait 70 millions de litres collectés contre 40 millions en 2008.
Cette performance a été obtenue grâce au programme étatique de soutien à la filière lait, estimait un responsable du secteur « les agriculteurs et éleveurs n’hésitent pas à se convertir dans l’élevage bovin». Cette option est expliquée par le montant de la subvention octroyée pour l’acquisition d’une vache à 60.000 DA, au moment où les opérations d’aménagement d’une étable bénéficient d’un soutien de 500.000 DA.
La filière qui donnait des signes positifs a vite rechuté suite aux maladies à répétition qui ont affecté le cheptel. La fièvre aphteuse était constatée dans la région de Taghzout puis Aghbalou, mais elle a vite été circonscrite et décimée.
Une situation prévisible
L’autre cause de ce manque sensible reste l’anarchie qui règne dans la filière du lait en général. Un expert affirmait à ce propos : «La problématique du lait n’échappe pas au fait que cette filière, comme toutes les autres, est entretenue, par la pression du consommateur, dans un sous-développement socio-économique, aux dépens du Trésor public. »
Dans son analyse, le spécialiste précise : « Par rapport aux dérivés, en l’occurrence les yaourts et crèmes dessert, les fabricants se sont mis de la partie en s’impliquant dans les dispositifs d’aides à l’emploi en important et fournissant aux agriculteurs des vaches pour récupérer le lait, faisant payer au consommateur l’archaïsme de par les procédés induits par la filière dans laquelle ils ont investi, au lieu de développer eux-mêmes des fermes d’élevage performantes qui auraient pu leur permettre de générer des produits trois fois moins chers à la faveur du consommateur. » Comme chacun le sait, la wilaya de Bouira est alimentée depuis les unités de Draâ Ben Khedda et de Boudouaou et une unité installée à Aïn Lahdjar. Un investisseur projette aussi de réaliser une unité dans la zone industrielle de Sidi Khaled à la condition de lui octroyer un terrain. La production réservée à la wilaya de Bouira avoisine les 25%. Quatre petites unités ont été lancées localement.
Leurs capacités de production et la qualité de leurs produits ne résolvent pas le dilemme du lait. Malgré cette situation et malgré l’engagement pris en 2009 par la direction des services agricoles d’aider un investisseur de la région de Taghzout, ce dernier attend depuis, un dénouement à sa demande. Voilà ce que déclarait l’ancien directeur du secteur en 2015 : « … Une autre coopérative dite de performance devrait prochainement voir le jour dans la localité de Taghzout, qui abritera une pépinière pour la production de génisses. Parallèlement, quelque 64 unités d’élevage bovin de la wilaya, sur les 621 existantes ont bénéficié de nouveaux équipements. Ce sont tous ces facteurs réunis qui ont donné une forte impulsion au secteur de la production de lait à Bouira, dont l’objectif à terme, est de devenir un bassin laitier qui compte à l’échelle nationale…» La réalité est qu’aujourd’hui se procurer un sachet de lait relève de l’exploit.
Le lait introuvable
Malgré les multiples cris de détresse des citoyens, rien ne semble déranger les responsables puisque personne ne semble vouloir mettre un terme à cette situation.
En plus des graves dysfonctionnements dans la collecte qui va vers les wilayas limitrophes, une unité de production du lait en sachet est à l’arrêt pour un souci de poudre. La laiterie « Akil » à Toghza, commune de Chorfa, extrême est de la wilaya, a été réalisée dans le cadre d’un investissement privé soutenu par l’Andi pour la coquette somme de 12 milliards de centimes. Cette unité totalement mise sur pied est fermée puisque l’Onil, organisme chargé de fournir la poudre, n’a à ce jour pas alimenté la laiterie pour lui permettre de produire en moyenne plus de 5000 sachets par heure. Cette unité pourra dans le court terme subvenir à une bonne partie de la demande locale et peut-être couvrir les villes situées au sud de la wilaya de Béjaïa. En plus de l’opportunité d’emploi, la laiterie prévoit la production des dérivés.
La question qui taraude les esprits est celle de savoir où passe le quota de la wilaya de Bouira quand le gros de la production commercialisée à travers la wilaya provient de l’unité de Draâ Ben Khedda dans la wilaya de Tizi Ouzou. Toute cette situation peut trouver un dénouement à la condition de permettre à la laiterie « Akil » de commencer sa production. Même si la crise ne serait pas totalement résolue, elle sera très largement atténuée. La situation est telle, qu’il est temps de vérifier les circuits de livraison de la poudre, les réseaux d’acheminement des collectes, surtout que l’Etat subventionne à coups de milliards ce produit.
Les propriétaires et le gestionnaire de cette unité de production fin prête sollicitent l’intervention des responsables à tous les niveaux pour mettre un terme à une attente lourde qui pénalise surtout le petit consommateur aux revenus limités.
Toutes les unités en exercice dans la région, axent leur production sur le lait en boîte et le lait de vache en raison de la marge bénéficiaire qui est plus consistante.
La laiterie « Akil » a, dans son programme, privilégié le sachet et a reporté les autres modes de production de moyen et long terme. Rien que pour ça, elle mérite un soutien et la levée des entraves.