Brahim Guendouzi, consultant et économiste, à “liberté” : “La réduction des importations aura un impact limité”

Brahim Guendouzi, consultant et économiste, à “liberté” : “La réduction des importations aura un impact limité”

Liberté : L’actuel gouvernement s’est, depuis peu, mis à tenter de rationaliser les importations, en s’attaquant essentiellement aux kits CKD-SKD, destinés à la fois aux ateliers de montage automobile et aux industries d’appareils électroménagers, aux céréales et à la poudre de lait. Serait-il possible de réduire le déficit commercial en réduisant l’importation de ces produits, alors que les précédents gouvernements ont carrément interdit l’importation de plusieurs biens et consommables sans pouvoir réaliser d’importantes économies ?

Brahim Guendouzi : L’urgence pour l’action gouvernementale est d’agir sur le niveau des importations vers la baisse par la compression de certains postes qui représentent en valeur une enveloppe en devises conséquente. Les mesures préconisées auront un impact limité dans le temps car il faudra redéfinir une nouvelle politique sectorielle à moyen terme pour l’industrie afin de pouvoir procéder à un redéploiement des capacités de production en fonction des besoins et surtout des niveaux technologiques et de l’intégration. S’agissant de la limitation des importations des kits CKD (Completly Knocked Down) et SKD (Semi Knocked Down) utilisés dans les usines de montage automobile, la mesure n’apportera pas grand-chose car la question de fond reste toujours posée, à savoir comment l’économie algérienne pourrait-elle s’accommoder d’un tel nombre (six) d’entreprises représentant des constructeurs automobiles mondialement connus ? Ces entreprises ne disposent d’aucun tissu de sous-traitants, ne réalisent pas d’opérations d’exportation, mais, en même temps, bénéficient d’importants avantages (accès au financement en devises, fiscaux, douaniers, etc.).

Il en est de même des filières de l’électronique et de l’électroménager, puisque la gamme de produits concernés est large et se rapporte à un environnement très concurrentiel et à des technologies évolutives. Concernant les mesures touchant les céréales ainsi que la poudre de lait, le problème se pose autrement du fait, tout d’abord, qu’il s’agit de produits de première nécessité destinés à une large consommation. D’autant plus que ces produits sont concernés par des subventions directes de la part des pouvoirs publics. Les montants importants en devises qui sont consacrés à leur importation reflètent-ils le niveau de satisfaction des besoins de la population qui est certes en progression puisque, actuellement, nous dépassons les 43 millions d’habitants ? En réalité, la question des subventions des prix des céréales et du lait implique indirectement l’utilisation de ces produits subventionnés dans d’autres activités liées au secteur agroalimentaire, mais ne nécessitant pas des subventions (produits dérivés du lait, pâtes alimentaires, etc.).

En définitive, s’il faut s’attaquer réellement aux importations pour les ramener à un niveau modéré, ce ne sont pas tant les enveloppes en devises consacrées qui vont réduire en volume et en valeur les achats de l’extérieur. C’est plutôt aller vers une véritable politique de rationalisation des importations qui procédera d’une analyse fine aussi bien des besoins de la population que de ceux des entreprises réellement engagées dans des processus de production créateurs de valeur ajoutée.

Quid du déficit de la balance des paiements que le gouvernement dit pouvoir endiguer à même de freiner la fonte des réserves de change ?
La balance des opérations courantes (biens, services et transferts unilatéraux) est redevenue déficitaire depuis 2014 corrélativement à la chute brutale des revenus extérieurs du pays. Depuis, le niveau des réserves de changes accumulées sur plusieurs années ne cesse de diminuer allant jusqu’à inquiéter les pouvoirs publics. Il y a, certes, les importations qui sont restées à un seuil élevé, mais surtout les exportations qui diminuent non seulement à cause de la chute du prix du baril de pétrole brut, mais aussi en raison de la tendance à la baisse du niveau de production des hydrocarbures en Algérie, ainsi que des mutations relatives à la commercialisation du gaz naturel qui ont lieu à l’échelle internationale en relation avec l’intervention de nouveaux acteurs. Aussi, les déséquilibres externes liés aux déficits des différents comptes de la balance des paiements constituent l’un des défis à relever par l’action gouvernementale qui ne peut se limiter à quelques mesures limitatives, mais par l’engagement de réformes économiques immédiatement pour espérer voir la situation économique du pays se rétablir à moyen terme et évoluer vers plus de croissance économique.

Quel est l’impact des fléaux qui gravitent autour de l’acte d’importation, dont la surfacturation et les fausses importations sur la balance commerciale et sur la balance des paiements plus globalement ?
Il existe de nombreuses pratiques frauduleuses qui ont malheureusement perverti l’acte d’importation, alors que c’est un processus indispensable dans le fonctionnement de l’économie nationale. Globalement, ces pratiques cachent soit une fuite des capitaux vers l’étranger (sortie de devises), soit une évasion fiscale, puisque de nombreux produits sont importés et écoulés dans les circuits du marché noir (produits de contrefaçon, produits prohibés). Le manque à gagner est alors certain au détriment du Trésor public. Comment arriver à un assainissement dans le commerce extérieur et, en même temps, faire évoluer les procédures dans le domaine pour plus de transparence, d’efficacité et d’efficience ? Il s’agit d’un autre chantier urgent pour l’action gouvernementale.

Qu’en est-il de l’importation des services et de l’équipement ? Le gouvernement est-il en mesure de s’attaquer à ces deux postes, de surcroît les pesants sur la structure des importations, sans qu’il y ait un risque d’effets pervers sur la croissance ?  
Tout d’abord, l’importation des services est cruciale car l’économie évolue de plus en plus vers les activités du tertiaire, et donc cela devient indispensable. La balance des services est, à ce titre, largement déficitaire depuis longtemps. Dans un souci de faire progresser la situation en faveur de l’économie nationale, il importe de procéder à une substitution des importations en mobilisant les capacités nationales et celles disponibles au niveau de la diaspora (expertises, réseaux, etc.). Le préalable à cela est évidemment une meilleure connaissance des structures économiques, mais également une mobilisation du potentiel humain, seul apte à faire évoluer la situation. 
L’importation des biens d’équipement est, en revanche, à encourager, car elle est synonyme d’investissements et de création d’entreprises. Ce dont a besoin justement l’économie algérienne. Surtout que nous accusons un retard technologique. De nombreuses entreprises publiques et privées souhaitent également procéder au renouvellement de leurs équipements productifs. Mais le constat qui est fait dans la structure par produits des importations, c’est que la rubrique équipements recule globalement par rapport à ce qu’elle était.
 
A. Titouche