Le ministère de la Justice est monté, hier, au créneau en qualifiant la grève des magistrats de «désobéissance civile». De même, la Cour d’Oran était le théâtre d’une intervention musclée de la gendarmerie pour évacuer les magistrats grévistes.
Le secteur de la Justice continue d’être ébranlé par la grève des magistrats, qui a entamé, hier, sa deuxième semaine consécutive. Ainsi, la journée d’hier n’a pas apporté de solutions à la crise qui paralyse l’appareil judiciaire depuis le 27 octobre dernier, en raison des positions figées de la tutelle et du Syndicat national des magistrats (SNM). En effet, le ministère reste campé sur sa position en qualifiant la grève des magistrats d’une «désobéissance civile», tandis que le SNM a appelé ses adhérents à poursuivre leur mouvement de débrayage tout en assurant le service minimum.
Intervenant, hier, sur les ondes de la Radio algérienne, dans l’émission l’Invité de la rédaction, le directeur général des affaires judiciaires et juridiques, Abdelhafid Djerir, a précisé que «la grève obéit à des procédures et des normes, or que pour la grève des magistrats, le service minimum n’a pas été assuré ». Par conséquent, il a considéré que « nous ne sommes pas dans le cadre d’un mouvement de grève, mais plutôt dans la rébellion et la désobéissance ». Dans la foulée, le responsable a regretté, que « des magistrats qui sont les garants de la législation agissent de la sorte ».
Assurant que la tutelle « comprend la détresse de ces grévistes et reste disposée au dialogue », l’intervenant s’est, toutefois, interrogé sur « les motifs réels de certains magistrats non touchés par le mouvement mais qui observent la grève en guise de solidarité avec leurs collègues mutés à leur demande même ».
Pour l’hôte de la radio algérienne, il est insensé que des magistrats «fassent grève pour soutenir des magistrats mutés» pour avoir passé plusieurs années dans la même juridiction». Par ailleurs, en ce qui concerne les revendications des magistrats, Abdelhafid Djerir a précisé que celles-ci «ne sont pas précises», indiquant, à cet effet, que «les deux parties ont examiné durant leurs réunions tous les dossiers sans épargner les questions qui fâchent». De surcroît, il a assuré qu’il comprenait «parfaitement la détresse dans laquelle se trouvent les magistrats», exhortant «le SNM à être légaliste et à respecter les lois de la République».
Interrogé sur le récent mouvement des 3 000 magistrats décidés par le Conseil supérieur de la magistrature, M. Djarir a précisé qu’il «est d’usage que le ministère opère chaque année un mouvement, lequel est ordinaire», précisant, que « ce mouvement a été préparé à la fin du mois d’août, mais après la convocation du corps électoral, il a été reporté». «Nous avons reçu cette année plus de 1 297 demandes de mutation qui ont été étudiées», a fait savoir l’intervenant, relevant que «80% des magistrats voulaient travailler dans les grandes villes du nord du pays, alors que d’autres étaient restés à leurs postes pendant plusieurs années, ce qui n’est pas normal».
Intervention spéctaculaire des forces anti émeutes de la Gendarmerie
L’autre signe de l’escalade a été donné à Oran, où des éléments anti-émeutes de la Gendarmerie nationale (GN) ont fait irruption hier à l’intérieur de la Cour sur demande du procureur de la République, faisant usage de la force pour évacuer les magistrats qui refusent de libérer leurs bureaux suite au dernier mouvement opéré par le ministère de la Justice.
Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont montré des éléments anti-émeutes à l’intérieur des salles d’audience, usant de la force pour faire sortir des procureurs et juges de la Cour d’Oran et libérer les lieux pour les nouveaux nommés. Des scènes de violence dans l’enceinte de la Cour ont fait le tour de la toile. Ainsi, des gendarmes ont d’abord évacué, de force, les magistrats de leurs bureaux avant de les obliger, en bas, dans le hall, à quitter le bâtiment.
L’intervention des éléments de la GN a suscité la panique chez les magistrats, bousculés et violentés. À vrai dire, ces images sont inédites dans l’histoire du pays. Jamais les magistrats n’ont fait objet d’acte qualifié de «violence», ce qui a suscité des réactions de soutien de la classe politique, et des avocats notamment.
Enfin, dans un communiqué diffusé hier, le ministère de la Justice a apporté un démenti catégorique quant au limogeage présumé du SG et du DRH : «C’est une information dénuée de tout fondement», a précisé le communiqué, accusant le magistrat derrière la propagation de cette rumeur d’avoir des intentions non innocentes. Le ministère de la Justice regrette, en outre, ce comportement contraire à la déontologie et œuvrant à «semer le doute auprès de ses collègues magistrats». Dans tous les cas de figures, les signes du pourrissement dans ce conflit s’installent.
À l’heure où nous mettons cet article sous presse, le SNM n’avait toujours pas réagi à cette escalade. Mais l’on s’attend à ce que sa réaction soit ferme, au regard de cette montée de violence de la part de la tutelle.
Lamia Boufassa