L’élimination humiliante du Brésil par l’Allemagne (7-1) mardi en demi-finale du Mondial est un nouveau désastre national pour le “pays du futebol”. Mais il n’aura pas la même ampleur que le “Maracanazo” de 1950 qui avait durablement traumatisé le pays, selon des spécialistes brésiliens interrogés par l’AFP. Partagés entre larmes, abattement, résignation et colère, les Brésiliens étaient, mardi soir, comme sidérés.
Plus par l’ampleur de la déroute, la pire de l’histoire du Brésil en Coupe du monde, que par la défaite en elle-même. Cette gifle rappelle forcément le drame du “Maracanazo”, la défaite de 1950 face à l’Uruguay (2-1) au stade Maracana de Rio de Janeiro, qui avait brisé le rêve des Brésiliens de remporter chez eux leur première Coupe du monde. Le 16 juillet 1950, il y a 64 ans, les 200 000 supporteurs du Maracana et tout un peuple avaient sombré, pour des années, dans le désespoir de cette défaite qui les renvoyait à leur historique “complexe de vira-lata” (“chiens errants”, NDLR), de citoyens du monde de seconde zone. La défaite de mardi est aussi “une humiliation nationale, à cause de la quantité de buts encaissés, mais pas un nouveau Maracanazo. Elle ne provoquera pas une commotion comme en 1950”, prévoit Michel Castellar, journaliste au quotidien sportif Lance. “En 1950, nous croyions que nous avions une équipe imbattable et que perdre au Maracana était impensable. Aujourd’hui non, au contraire. Nous savions que nous avions une équipe avec plusieurs failles et que, peut-être, nous n’irions pas en finale”, explique-t-il.
Fantôme du Maracana
Certes, le fantôme du Maracana continuera de hanter l’imaginaire collectif. Cuisante par son ampleur, la défaite l’est d’autant plus que la Seleçao fédère bien au-delà des profondes barrières sociales et raciales de ce pays de 200 millions de supporteurs. Le Brésil a élevé le football au rang d’art, admiré dans le monde entier, avec son “jogo bonito” et ses joueurs de légende : Pelé, Garrincha, Zico, Socrates, Ronaldo, Romario… Sans parler de la dernière pépite nationale convertie en martyr de ce Mondial, l’attaquant feu-follet Neymar, cruellement absent mardi en raison d’une fracture vertébrale contractée lors d’un coup violent porté par un défenseur colombien en quart de finale. Il est le seul pays au monde à avoir remporté cinq fois la Coupe du monde, après 1950. Ici, le football est une danse sacrée inspirée de la samba, la Seleçao une religion. Un culte tellement œcuménique qu’il a étouffé toute revendication sociale pendant le Mondial. Et ce alors que beaucoup craignaient, ou souhaitaient, une réplique de la fronde sociale massive qui avait embrasé le pays en juin 2013 pour dénoncer le facture publique du Mondial, l’indigence des services publics et d’une classe politique dans son ensemble décriée.
D’autres horizons que le foot
Passé le choc initial, les triomphes du passé, le succès de l’organisation du Mondial malgré sa préparation troublée, et l’évolution économique et sociale du géant d’Amérique latine devraient atténuer l’ampleur du drame. “Il y a eu beaucoup de Coupes du monde depuis 1950, nous avons connu de nombreuses victoires et de nombreuses défaites. Tout le monde est habitué à cela aujourd’hui. Le Maracanazo fut un événement unique. Les situations sont différentes aujourd’hui”, estime Lamartine da Costa, professeur à l’université de l’Etat de Rio (UERJ) et de l’université d’East London. “Le Brésil est un pays énorme, isolé par nature, mais il l’était beaucoup plus en 1950. Cela a créé une culture de repli sur soi. Les Brésiliens ne comprennent pas bien les autres. Il se passe un peu la même chose avec d’autres grands pays comme les Etats-Unis, la Russie ou la Chine. Il existe une sensation de toute-puissance irréelle, et la surprise vient quelquefois du fait que les choses ne se produisent pas comme espéré. C’est l’une des théories pour expliquer le drame de 1950”, explique-t-il. Depuis, le Brésil est entré de plain-pied dans le monde globalisé, se hissant au rang de septième puissance économique mondiale. Au cours des 12 dernières années, plus de 40 millions de Brésiliens sont sortis de l’extrême pauvreté. La société brésilienne s’est mise en mouvement et revendique plus de prospérité, de qualité de vie. Le football n’est plus son seul horizon.
D’autant qu’une partie du lien avec la Seleçao s’est distendu avec l’ère du football-business. “Avant, les joueurs incarnaient un football plus dépouillé, plus proche de l’amateurisme. Leur comportement était exemplaire, ils représentaient les valeurs de la patrie et l’amour du foot. Aujourd´hui, ils ont tous des contrats millionnaires et le lien avec la population s’est un peu rompu”, explique Lamartine da Costa.
Alors que le championnat brésilien se joue la plupart du temps dans des enceintes à moitié vides, l’ambiance lors des matchs de l’équipe nationale brésilienne s’est un peu aseptisée, même lors de cette Coupe du monde jouée à domicile, où les stades étaient majoritairement remplis de Brésiliens blancs des classes aisées, en raison du prix des places. Pour Juca Kfouri, journaliste sportif réputé, la défaite du Brésil n’est pas ressentie de manière uniforme : “Les gens qui assistent à la Coupe du monde ne sont pas forcément des vrais supporteurs de foot. La majorité écrasante n’entre pas en deuil à cause de la défaite. Le deuil concerne seulement ceux qui suivent le foot en permanence.”