Après plusieurs reportages aux côtés des Frères musulmans, des comités de quartier anti-Morsi, des policiers blessés et des membres de la minorité copte, l’envoyé spécial de FRANCE 24 revient sur les acquis de la révolution de 2011.
“Mesdames et messieurs, bienvenue en Égypte… Que Dieu protège notre pays.” La voix habituellement pleine d’assurance du capitaine de bord est à deux doigts de flancher lorsque mon vol Egyptair MS800 se pose sur le tarmac brûlant de l’aéroport international du Caire en ce jeudi 15 août. Depuis le démantèlement sanglant des campements pro-Morsi dans la capitale, le pays s’apparente à un avion en chute libre dont les pilotes continueraient de se battre dans un cockpit en feu.
L’escalade sans fin de la violence a poussé l’armée à rétablir des mesures sécuritaires symboliques de l’ère Moubarak, faisant craindre la disparition des fragiles avancées de la révolution de 2011. L’Égypte se couche désormais sous le couvre-feu pour se réveiller avec l’état d’urgence.
|
Impossible de circuler au Caire sans remarquer l’omniprésence des forces armées à proximité des points névralgiques de la capitale égyptienne – ponts, places, bâtiments publics. Avec le couvre-feu, le trajet d’une trentaine de kilomètres entre l’aéroport et l’île de Zamalek, au centre de la capitale, s’est transformé en une expédition de plus de trois heures ponctuée de barrages militaires, de check-points sauvages et de routes coupées.
Égypte post-Morsem
Pour un journaliste qui a couvert la révolution de 2011, l’Égypte « post-Morsem » ressemble furieusement à celle du crépuscule de l’ère Moubarak. Dans les deux cas, il faut constamment rester sur ses gardes afin de ne pas être pris pour cible par les forces de sécurité ou, pire encore, par des civils enragés, partisans du pouvoir. Une forme d’hystérie collective ultranationaliste rend toute discussion politique harsardeuse : un désaccord entre Égyptiens peut dégénérer en accusations réciproques « d’agents d’un complot étranger », puis à la bagarre voire au lynchage en seulement quelques minutes.
|
Les périodes de calme relatif ne permettent jamais à la tension de retomber réellement car les médias locaux – journaux, TV et radios – diffusent en boucle des sujets mobilisant la population contre le risque « terroriste » des Frères musulmans. Une incitation à la haine permanente qui immunise les partisans de l’armée égyptienne face à l’horreur qui a submergé les journalistes étrangers, vendredi 16 août, quand nous avons vu affluer dans la mosquée al-Fath les corps de dizaines de manifestants pro-Morsi abattus par la police. Avec plus de 900 morts en cinq jours, l’Égypte a subi un bilan humain plus lourd que ceux de la Syrie ou de l’Irak au mois de juillet.
Mur de la peur
|
Le signe le plus clair de la contre-révolution en cours reste néanmoins la reconstruction méthodique du mur de la peur que les révolutionnaires de la place Tahrir avaient fait tomber en 2011. Chaque massacre, lynchage, et autre acte de violence politique – que les victimes soient pro ou anti-Morsi – ajoute une brique de plus dans ce mur de la peur. Plusieurs Égyptiens horrifiés par la tournure des événements, rencontrés au gré des reportages, ont refusé de s’exprimer ou d’être cités dans des articles, de peur d’être dénoncés comme « traîtres » face à la « guerre contre le terrorisme ».
|
Ce climat délétère nous a notamment empêchés de rencontrer un responsable du mouvement d’opposition « Third Square », un groupe à la fois anti-islamiste et anti-armée. L’activiste, qui préfère ne pas avoir son nom cité pour des raisons de sécurité, a été brièvement détenu par la police avant son rendez-vous avec l’équipe de FRANCE 24, alors qu’il faisait justement la tournée des commissariats à la recherche d’autres militants du « Third Square » arrêtés le jour précédent.
L’étendue du reflux révolutionnaire au Caire était visible, mardi 20 août. Nous avons appris, à quelques heures d’intervalle, que le politicien libéral Mohamed El-Baradei serait poursuivi pour avoir refusé de soutenir l’éviction par la force des campements pro-Morsi, et que l’avocat d’Hosni Moubarak pronostiquait la libération imminente du vieux raïs. Une nouvelle aussitôt saluée sur les réseaux sociaux par l’apparition d’une parodie d’affiche électorale présentant la candidature « Moubarak président en 2014 ».