Qu’importe que l’appel lancé sur les réseaux sociaux n’ait rassemblé à Constantine, Alger et Oran, samedi dernier, veille de l’Aïd, que quelques centaines de personnes (ou moins) pour dénoncer le meurtre d’Amira Merabet (34 ans), brûlée vive à Khroub (Constantine) par un individu qui, au moment où j’écris, court toujours. L’essentiel était de réagir. Et que cet appel demandant aux femmes de se lever, de s’indigner et d’arracher leur liberté ait été largement diffusé. La vidéo montrant à voir la protestation dénonçant cet acte abominable a de fait eu un très grand écho sur les réseaux sociaux.
Cela faisait un moment que ça durait. L’an passé, si mes souvenirs sont bons, des appels avaient été lancés pour interdire le port du bikini sur les plages algériennes, adossés à une proposition de constitution d’une sorte de police des mœurs pour faire régner «la morale».
Qui plus est, d’où ces rassemblements cités plus haut, l’assassinat d’Amira Merabet survient neuf mois après celui de Razika Chérif, 40 ans, écrasée volontairement par un automobiliste à Magra (Msila) pour avoir refusé ses «avances», ce qui avait déjà donné lieu à une protestation populaire. Sans compter le viol en octobre dernier à Oran d’une jeune migrante camerounaise, Marie-Simone D. Il ne s’agit donc pas d’actes isolés, d’actes commis par des malades mentaux comme veulent l’accréditer ceux qui cherchent à banaliser de tels assassinats et à les mettre sur le compte des faits divers. Ce sont des meurtres commis par des individus, produits d’une culture machiste, se drapant de religiosité, légitimée par les prêches que l’on entend sur certaines chaînes satellitaires religieuses, dans de nombreuses mosquées et sur internet. Ceux qui appellent à la haine contre les femmes sont connus et ne se cachent pas. Nul besoin de les nommer.
C’est toujours au nom de cette culture religieuse archaïque parce que littéraliste, portée par le discours politique des islamo-conservateurs, qu’un obscur agent d’un lycée de Sebbala (Draria), portant le kamis et la barbe, s’est cru autorisé à interdire l’entrée de l’établissement le jour de la rentrée des classes aux lycéennes ne portant pas le voile, allant jusqu’à demander aux parents indignés par un tel acte, de «bien éduquer leurs filles» ! Souvenons-nous aussi du projet de loi sur la violence et le harcèlement contre les femmes, longtemps bloqué par le Sénat par les islamo-conservateurs, avant d’être adopté au prix d’un compromis incluant une clause de «pardon», stipulant que la femme peut mettre fin aux poursuites judiciaires dans certains cas en pardonnant à son agresseur !
Et que dire enfin de cette enseignante du primaire, qui a lancé un défi à la ministre de l’Education, Nouria Benghabrit, se filmant avec ses élèves en leur faisant répéter en chœur que la langue arabe est la langue du paradis. Les pouvoirs publics ont réagi et décidé d’ouvrir une enquête. Or la loi sur la protection de l’enfant promulguée le 15 juillet 2015 (article 10) est claire : elle punit toute utilisation de l’enfant dans des films, photos, enregistrement audio ou vidéo «sans l’autorisation de son représentant légal». Et dans ce cas précis, il faut faire appliquer la loi sinon c’est la porte ouverte à l’instrumentalisation des enfants à des fins politico-religieuses comme le fait Daesh en Syrie et en Irak.
A l’endroit de Nouria Benghabrit, justement, il n’y a pas eu seulement les protestations indignées d’islamistes en retard d’un djihad, menaçant de faire sortir les Algériens dans la rue – reste à savoir s’ils sortiront — si elle n’était pas renvoyée de son poste et si le gouvernement ne mettait pas fin à ses réformes de l’école sous prétexte qu’elles menacent la place de la langue arabe. La ministre a même été menacée de mort par un individu qui vient d’être appréhendé par la gendarmerie ! Selon certains salafistes, qui ne reculent devant rien, ces réformes auraient été même exposées et débattues dans des églises ! Et pourquoi pas au Vatican ?
Que cela concerne la violence contre les femmes, encouragée et légitimée par certains prêches salafistes, ou ces menaces contre la ministre de l’Education qualifiée au passage de «juive», le plus inquiétant, c’est le silence des pouvoirs publics et des partis politiques. Pas de réaction ni de la puissance publique ni des partis au pouvoir, le FLN et le RND, ni de l’opposition démocratique institutionnelle (celle qui siège dans les institutions). D’où l’appel de ce collectif de femmes aux autorités pour faire appliquer la loi dans toute sa rigueur. Car se taire dans ce contexte de religiosité réactionnaire autorisant tout et n’importe quoi à l’endroit des femmes, c’est encourager la violence contre elles.