« Originaire d’un petit village de Kabylie, Yacef Saâdi a néanmoins vu le jour dans la Casbah d’Alger, le 20 janvier 1928.
Même si ses parents étaient illettrés, lui, fréquentera les bancs de l’école jusqu’en 1942, date à laquelle les troupes alliées débarquent à Alger, dévoyant l’école de sa mission d’éducation pour en faire une caserne militaire, contraignant ainsi des dizaines d’enfants à abandonner les études. Pour gagner sa vie et aider ses parents à subvenir aux besoins de la famille, il commence à travailler comme apprenti boulanger.
En 1945, alors qu’il est à peine âgé de 17 ans, Yacef adhère au Parti du peuple algérien, de tendance nationaliste puis au Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). De 1947 à 1949, Yacef sert dans l’OS, l’aile paramilitaire du MTLD. Une fois la structure démantelée, il part vivre en France et ce, jusqu’en 1952, année où il rentre en Algérie pour travailler à nouveau comme boulanger.
Au lendemain du déclenchement de la guerre d’Algérie, il rejoint les rangs du Front de libération nationale (FLN). Un an plus tard, il rencontre Ali la Pointe, Ali Ammar, de son vrai nom. Ce dernier vient juste de s’évader de prison, après une condamnation à mort pour avoir tiré sur un policier français avec une arme à feu non chargée. Au cours de son incarcération, Ali la Pointe est sensibilisé à la cause nationale et au combat de ses frères pour l’indépendance du pays par ses camarades prisonniers. C’est pourquoi, dès son évasion, Ali la Pointe tente de rallier le FLN grâce à des contacts qu’il a eus dans la Casbah et qui le mèneront directement à Yacef Saâdi.
En mai 1956, Yacef occupe déjà un poste élevé dans la hiérarchie du FLN, puisqu’il est désigné chef militaire de la Zone autonome d’Alger. Avec Ali la Pointe comme adjoint, il est l’un des chefs et des personnages clés dans les rangs des moudjahidine algériens au cours de ce qui sera connu plus tard sous le nom de la «Bataille d’Alger».
Le FLN appelle à une grève
Le 7 janvier 1957, 8 000 hommes de la 10e DP de retour d’Égypte, où ils ont participé à la campagne de Suez, entrent dans Alger avec pour mission de «pacifier» la ville. Cette division est commandée par le général Massu, à qui Robert Lacoste vient de donner les pleins pouvoirs, assisté des colonels Bigeard, Trinquier, Fossey-François et Godard.
Alger est quadrillée. Des barrages soutenus par des blindés contrôlent tous les accès à la ville. Les habitants et les passants sont systématiquement fouillés à chaque coin de rue. Les quartiers musulmans sont enserrés dans un énorme corset de fils barbelés. En l’espace de quelques jours, la population s’est retrouvée prisonnière et otage de l’étau des paras de Massu.
C’est alors que le FLN décide de lancer un mot d’ordre de grève générale pour le 28 janvier. Ayant eu vent d’une insurrection populaire, l’armée opère des interpellations et des arrestations sans motif apparent. Dans ses mémoires (tome I), Yacef Saâdi écrit : «Nageant dans le flou le plus épais en ce qui concerne le fameux débrayage en perspective, le proconsul frappait dans le tas, espérant ainsi débusquer par hasard la perle rare, l’homme de la situation qui lui livrerait toute la stratégie en préparation au niveau du CCE» (*). Après Belcourt, Maison-Carrée (El-Harrach), Bab-El-Oued et Fontaine Fraîche, ratissées le 22 janvier, la Casbah se réveille le 24 janvier encerclée de toutes parts. «Dans l’esprit de l’adversaire, l’impératif prioritaire consistait à boucler toute issue vers l’intérieur du pays aux combattants d’Alger qui voudraient refluer vers les deux wilayate avoisinantes : les Wilayas III et IV. Et, de cette façon, boucler Alger tout le long de son périmètre.»
«La journée du 28 janvier 1957 aurait pu fort bien ressembler aux 27 autres qui l’avaient précédée mais la guerre en avait décidé autrement (…). Nous entrions dans une phase de «paralysie volontaire» durant 8 jours. Selon l’explication donnée par les gens du CCE, le débrayage devait montrer au monde entier comment un peuple fort seulement de ses convictions historiques était en train de se faire saigner à blanc parce qu’après plus de 120 ans d’occupation dégradante, il s’était mis brusquement dans le crâne de relever la tête et de récupérer son bien. Autrement dit, sa terre et son identité…»
Pendant huit jours, la population sera malmenée, sans distinction d’âge ou de sexe. Mais cette population justement résistera aux brimades, aux coups, aux arrestations. Yacef Saâdi explique qu’au 5e jour de la grève et «à l’approche du débat à l’ONU, parallèlement à l’organisation de la grève, j’avais réuni une commission composée de plusieurs cadres de la zone afin de constituer un dossier sur les techniques moyenâgeuses qu’utilisait le corps expéditionnaire français pour «pacifier» l’Algérie».
Après 8 jours de grève, et bien que les militaires continuaient à harceler la population, l’heure est au bilan. Yacef Saâdi écrit encore : «La grève terminée (…), nous allions faire le point de la situation (…) A notre corps défendant, nous dûmes nous rendre à l’amère évidence que les trois quarts de nos effectifs armés avaient été défaits. Et notre organisation politique réduite à la portion congrue. Les efforts de plusieurs mois de travail de fourmi pour bâtir une pyramide composée de dizaines d’hommes armés, battus en brèche, et la fameuse pyramide écroulée en l’espace d’une semaine.»
Le 24 septembre 1957, Yacef Saâdi est arrêté, accusé d’avoir fomenté plusieurs attentats dans des lieux publics tout autour de la ville d’Alger, ayant entraîné la mort de plusieurs Français.
Au départ, condamné à mort par un tribunal militaire, Yacef Saâdi finit par être gracié par le gouvernement français, après le retour au pouvoir en France de Charles de Gaulle en 1958. Sa condamnation à mort convertie en emprisonnement à vie, il est transféré d’une prison en Algérie à une prison en France, d’où il écrit ses mémoires sur la bataille.
Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, Yacef Saâdi est relâché.
Rencontre de Yacef Saâdi avec Gillo Pontecorvo
Avec le support du nouveau gouvernement algérien, l’ancien combattant crée une compagnie de production cinématographique qu’il baptise Casbah Films. Il devient coproducteur de plusieurs films dont Lo Straniero, une adaptation par Luchino Viscontis du roman d’Albert Camus l’Etranger.
En 1964, en tant que producteur, il travaille avec le scénariste et réalisateur italien Gillo Pontecorvo sur une adaptation de ses propres mémoires de la Bataille d’Alger. Avec comme coscénaristes Pontecorvo et Franco Solinas, La Bataille d’Alger est tourné en une période de 5 mois dans et aux alentours de la Casbah ainsi que dans certaines rues de la capitale. Tout en s’occupant de la production du film et en lui fournissant son matériel de base, Yacef participe aussi en tant qu’acteur dans le film, en campant un rôle inspiré de sa propre histoire et de son expérience au cours de cette guerre.
En janvier 2001, Saadi Yacef occupe le poste de sénateur à au Conseil de la nation dans le tiers présidentiel. »*
Il est aujourd’hui quelque peu retiré de la vie publique, depuis ses démêles l’ayant opposé à d’autres figures de la révolution : Zohra Driff, Louisette Ighilahriz
*Hassina Amrouni