Il y a vingt-deux ans, la localité de Bentalha a été le théâtre d’un terrible massacre commis par des islamistes armés. Hommes, femmes et enfants, les victimes se comptaient par centaine.
La nuit du 22 au 23 septembre 1997, la localité de Bentalha, située à une centaine de kilomètre à l’est d’Alger (entre Baraki et Sidi Moussa), est attaquée par un groupe d’islamistes armés. Selon les témoignages, ils sont au moins cinquante. Certains parlent même d’une centaine. Armes automatiques, explosifs, machettes, haches… ils prennent d’assaut deux quartiers en particuliers, Boudoumi et Haï Djillali, après avoir coupé l’électricité dans la région. Méthodiques, ils attaquent rue par rue, maison par maison, pour décimer des familles entières, de la pire façon qui soit. Dans la nuit, les cris d’horreur se mêlent au son des balles, des portes explosées et des râles des victimes égorgées. C’est une nuit interminable. « Pendant que les étendards de la mort happaient les âmes des innocents, nourrissons, enfants et femmes au milieu de flots de sang, les voisins attendaient leur tour [pour être égorgés] dans un état d’hystérie et d’épouvante poussés à l’extrême. » (Al Khabar, 24 septembre 1997)
Certains réussissent à se cacher ou à se sauver, échappant ainsi à cette barbarie. Mais ils sont rares. D’autres habitants, sommairement armés, se battent comme ils peuvent pour repousser les barbares, mais la boucherie n’en est pas moins réduite. Le nombre des victimes s’élève officiellement à une centaine. Mais selon les habitants de Bentalha, ils sont au nombre de 400.
Le massacre commence vers 23 heures et dure plus de quatre heures. Les militaires tentent d’intervenir, mais ils sont bloqués à l’entrée. Le terrain est entièrement miné et un groupe armé les attaque avec des tirs de roquettes. Il leur faut d’abord parvenir à les repousser, tuant et blessant une partie pour pénétrer dans la localité. Mais il est déjà trop tard, les barbares ont terminé leur sale besogne et commencent à se retrancher tranquillement en longeant des vergers. Ils laissent derrière eux un spectacle des plus tristes et des plus horribles.
Selon des témoignages concordants, les assaillants sont habillés à l’afghane, en pantalon bouffant et kachabilla. Ils ont les cheveux hirsutes, de longues barbes et sont sales. Certains affirment que des femmes les accompagnent comme cela est affirmé dans d’autres massacres à cette période. On affirme surtout qu’ils ont des listes de familles et de personnes précises à tuer et qu’ils sont accompagnés « d’enfants » de la localité, encagoulés, pour identifier les maisons à attaquer.
D’ailleurs, l’attaque de Bantalha se fait sous les ordres de l’émir Mohamed Lazraoui, natif de la localité. De nombreux survivants au massacre l’identifient. Il sera abattu par l’armée quelques semaines plus tard, le 7 octobre 1997.
Dix ans après cette boucherie, le rapport du centre de soins psychologiques de Bentalha, créé en début de 1998 par la Fondation nationale pour la promotion et le développement de la recherche (Forem), donnait un bilan inquiétant. « L’évaluation de cette thérapie concerne 120 adultes et 413 adolescents et montre que 73% des enfants ont vécu un traumatisme entre 1995 et 2000. Pour 39% des cas, l’origine est liée à des actes terroristes, 28% des cas au décès du père (directement ou indirectement lié au terrorisme) et 26% des cas à l’assassinat du père. ». Par ailleurs « 54% de l’échantillon fréquentent toujours les collèges et 56% ont un âge moyen de 15 ans. Ces adolescents sont dans 62% des cas des orphelins de père et 9% de mère, et dans 91% des cas sont dans une extrême pauvreté et vivent grâce au programme d’aide dans le cadre du parrainage des orphelins (un millier d’orphelins ont été parrainés dans ce cadre). Les spécialistes ont montré que 51% des adolescents, soit 211, suivis au centre souffrent de post-traumatisme, dont 39% des cas sont dans une mauvaise situation, et 24% des cas ont une mauvaise estime de soi. »
Quant aux adultes, ils sont au nombre de 120 pris en charge. « 47% présentent des traumatismes psychologiques dont la principale cause est dans 86% des cas la perte du mari. Il est également fait état de 46% des cas âgés entre 36 et 55 ans qui sont toujours atteints du stress post-traumatique et 83% de ces derniers sont des chômeurs. » (El Watan)
Près de vingt ans après les faits, le massacre de Bentalha, comme beaucoup d’autres, est quasiment tombé dans l’oubli. On n’en parle peu ou pas, encore moins de l’état psychologique de ceux qui ont subi cette tragédie. Les habitants ont repris une vie à peu près normale et dans la mesure du possible, mais derrière les sourires affichés, une profonde tristesse marque encore les regards et même les lieux. Certainement pour toujours…
Z.M.
Sources :
Presse nationale
Hassane Zerrouky. La nébuleuse islamiste en France et en Algérie, Editions 1, 2002.
Article de Salima Tlemçani, Dix ans après le massacre de Bentalha : 73% des enfants ont vécu un traumatisme. In El Watan du 24 septembre 2007.