Célébration du mois du patrimoine : Un état des lieux à défricher

Célébration du mois du patrimoine : Un état des lieux à défricher

Dans beaucoup de villes d’Algérie, des monuments historiques tombent en ruine alors que “le budget alloué à leur préservation et aménagement par les instances internationales est perpétuellement grignoté et consacré à de simples travaux de ravalement de façades comme ce fut le cas pour la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe”.

Comme à chaque année, l’Algérie célèbre, du 18 avril au 18 mai, le Mois du patrimoine et un programme “festif” s’établit dans plusieurs wilayas du pays. Mais où se situe le citoyen lambda dans ces célébrations organisées en grande pompe ? Et que font les concernés pour réhabiliter et sauvegarder ce patrimoine ? Car, encore une fois, c’est sur le terrain de la réalité et au quotidien que le constat se fait : le citoyen ne se sent pas concerné et de ce fait ne s’implique pas ; ou s’il lui arrive de s’impliquer, il est interdit d’accès aux monuments et aux sites. En marge des mouvements populaires pacifiques où le verbe “vendredir” est né, la question est posée à un jeune étudiant brandissant la pancarte “L’Algérie de demain, c’est la jeunesse” ; il nous répond d’abord hésitant, puis un peu plus confiant : “Nous ne sommes pas encore à ça, il y a des dossiers plus urgents, mais puisqu’on est en plein Mois du patrimoine, il y a beaucoup de laisser-aller, mais surtout d’acquisitions illégales et de maisons squattées, j’en ai un exemple type du côté de la Pointe Pescade (Raïs Hamidou) où j’habite.”

Les exemples ne manquent pas dans cette vaste Algérie aux richesses patrimoniales inouïes et sur la toile ou lors de réunions restreintes tenues par des spécialistes en présence de quelques citoyens sensibles à la question, on alerte sur des dangers d’effondrement, des démolitions de vestiges ou des appropriations illégitimes en pointant du doigt le(s) responsable(s) de ces abus qui sont souvent en liens très étroits avec ceux-là mêmes en charge de la “sécurisation du patrimoine”, thème décrété cette année par l’institution concernée. Dans le Sud, ce sont les vestiges rupestres qui sont subtilisés, parfois au vu et au su de “certains guides” qui, vivant dans des conditions déplorables, acceptent de fermer les yeux.

Dans beaucoup de villes d’Algérie, des monuments historiques tombent en ruine alors que “le budget alloué à leur préservation et aménagement par les instances internationales est perpétuellement grignoté et consacré à de simples travaux de ravalement de façades, comme ce fut le cas pour la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe, et la Souika en est un exemple flagrant”, nous dira l’agronome et poétesse Zoubida Belkacem, qui dénonce également l’état de délabrement de nombreux monuments dans la ville de Blida. À Annaba, on se souvient encore de l’inconcevable démolition de la villa Salvatore-Colli qui était pourtant un bijou architectural à conserver. Dans la région de Nedroma, c’est toute l’ancienne ville qui est à l’abandon, livrée à un triste sort malgré la beauté historique qu’elle renferme.

Yamina Miri-Aït Abdelmalek, ingénieur agronome et auteure, en est revenue toute retournée : “Il y a des sites magnifiques, mosquée, synagogue, gare, mais dans un état catastrophique d’abandon ; il y a aussi une superbe demeure Dar El-Cadi-Rahal qui est un bijou architectural qui renferme, entre autres merveilles, une fontaine historique offerte par l’Émir Abdelkader ; heureusement qu’elle vient d’être offerte gracieusement par les descendants à la Maison du patrimoine de Nedroma qui compte en faire un musée, car il n’y en a pas”, nous dira-t-elle. De son côté, Lazhari Labter, journaliste et auteur, tire la sonnette d’alarme concernant la ville de Laghouat en dénonçant “les travaux de transformation de l’ex- presbytère qui jouxte l’ex-église devenue musée communal pour en faire une maison d’hôte de la wilaya, alors qu’il en existe une juste à côté”.

Il a d’ailleurs lancé une pétition pour sensibiliser et appeler à l’arrêt de ce massacre autorisé, qui se voit généralisé et auquel le citoyen doit aussi faire face. À Sétif, c’est l’architecte Assia Samai-Bouadjadja qui n’a de cesse depuis de longues années de déplorer et d’alerter, entre autres, sur des sites complètement délaissés et ignorés tel le tombeau de Scipion qui est enfoui parmi les maisons individuelles sans aucune distance qui les sépare, alors que les pierres tombent l’une après l’autre, ou encore la première halle complètement travestie, devenue marché, le cimetière chrétien détruit et squatté, les bains romains non valorisés, l’école et la mosquée de l’Association des ouléma, la firme Hennebique et autres sites. Les Casbah, les fontaines, les ksour…

Samira Bendris-Oulebsir