Si jusqu’ici, la célébration était portée par la société civile et les partis démocrates, tel ne semble plus être le cas désormais, puisque même le pouvoir se met de la partie, à travers ses démembrements au niveau local, pour commémorer l’événement.
Encore une fois, et comme pour perpétuer une tradition désormais bien établie, la Kabylie et certaines régions du pays qui se revendiquent de la symbolique et du référent, s’apprêtent à célébrer le Printemps berbère qui coïncide avec le 20 avril de chaque année. Et, comme souvent, cette célébration qui, de coutume, est l’œuvre des militants de la cause berbère et des partis démocrates qui ont porté celle-ci, va donner lieu à des manifestations, des marches populaires et autres activités culturelles pour marquer cette date charnière qui a permis de « libérer l’esprit algérien de la fatalité, du suivisme, du renoncement et surtout de l’uniformisme», pour reprendre les propos de l’ex président du RCD, Said Sadi, l’un des artisans du printemps berbère. «C’est avril 80 qui a évité au citoyen de régresser vers ces états de conditionnement où on voit des femmes et des hommes réduits à saliver devant les délires de despotes », dit-il. Mais autres temps, autres mœurs : Si jusqu’ici, la célébration était portée presque exclusivement par la société civile et les partis démocrates, tel ne semble plus être le cas désormais, du moins depuis une année, puisque même le pouvoir, qui jadis accusait le mouvement berbère d’être à la solde de l’étranger, se met de la partie, à travers ses démembrements au niveau local, pour commémorer l’événement. « Les évènements du 20 avril 1980 sont inscrits dans les anales de l’histoire de l’Algérie contemporaine », a estimé samedi dernier le wali de Tizi Ouzou à l’occasion du lancement officiel des festivités commémoratives du 37ème anniversaire du printemps amazigh. «L’Algérie ne saurait négliger ses origines culturelles. L’Etat algérien a accordé à Tamazight la place naturelle qui est la sienne dans la vie nationale grâce à beaucoup de sacrifices d’hommes et de femmes de cette région et de tout le pays. Sa consécration comme langue nationale et officielle a contribué à l’enrichissement et au développement de la culture algérienne qui s’appuie sur un socle sûr », a souligné Mohammed Darbali mais sans pour autant évoquer les affres subies par les animateurs berbéristes dans les geôles de Tazoult-Lambèse et à Berrouaghia, ni les 126 victimes du « printemps noir » de 2001, encore moins les perspectives démocratiques que réclame toujours le mouvement. Ainsi tout un programme a été concocté pour la circonstance. Grâce au concours de certains organismes, comme la DJS, une exposition sur la chronologie du mouvement berbère et sur les métiers et arts traditionnels, des ateliers de conte, de poésie et de démonstration de métiers traditionnels, des projections de films documentaires, des animations culturelles et musicales, des concours culturels et artistiques (dictées en langue amazighe, meilleur plat traditionnel, robe kabyle et dessin de rois amazighs), des conférences-débat et des tables-rondes avec la participation de quatre wilayas, à savoir Khenchela, Batna, Souk-Ahras et Ghardaia sont au menu. Frappés d’ostracisme de leur vivants, Mouloud Mammeri, dont l’annulation de la conférence sur «la poésie kabyle ancienne» est à l’origine des événements de 1980, et l’écrivain journaliste, Tahar Djaout sont même réhabilités. L’auteur du célèbre roman «l’Opium et le bâton» est même décoré, à titre posthume, de la médaille de l’ordre de mérite national tandis que le premier cours de la prochaine rentrée scolaire lui sera entièrement consacré dans les trois paliers de l’enseignement, a promis la ministre de l’éducation nationale, Nouria Benghebrit. S’il faut sans doute se féliciter de ce que Tamazight ne soit plus un tabou et est assumée, notamment depuis sa constitutionnalisation et son officialisation, il reste que cet empressement des autorités à chercher à ce qui s’apparente à une entreprise de réappropriation de la célébration du «printemps berbère», qu’elles ont combattues et folklorisées, charrie quelques arrière-pensées politiciennes. Tout porte à croire, en effet, qu’elles cherchent, considérant que la contestation autour de Tamazight n’a pas lieu d’être désormais,-maintenant qu’elle est officialisée-, à couper l’herbe sous les pieds, notamment du MAK et du dernier né, le RPK, qui attirent de plus en plus de sympathisants. A travers cette entreprise, le pouvoir cherche, par certains égards, à diluer une symbolique autour de laquelle se cristallise la contestation qui refuse de fléchir et qui s’exacerbe à mesure que le régime s’enfonce dans l’autoritarisme. Or, Avril 80 n’était pas seulement articulé autour de la revendication identitaire, mais également autour des libertés démocratiques. «Avril 80 était une remise en cause de l’ordre établi avec des propositions alternatives », affirme Said Sadi. Il s’agit donc aujourd’hui d’ouvrir des perspectives démocratiques sans lesquelles aucun épanouissement de Tamazight n’est possible. Sinon, les autorités l’auraient fait depuis…1994, après la grève du cartable d’une année. « Avril 80 » doit demeurer, pour tous, comme un référent pour le combat pour la démocratie qui, elle, n’est pas encore effective.