Le cœur gros, la tête ailleurs à force de trop mijoter dedans, l’esprit saturé par des soucis qui n’en finissent pas, les Algériens s’interrogent dans leur majorité aujourd’hui sur cette chance et ce destin qui ne veulent plus, semble-t-il, leur sourire. Alors sont-ils heureux et en paix dans leurs foyers comme le prétendent certains thuriféraires « salonnards » ? Mangent-ils toujours à leur faim ? Disposent-ils de moyens conséquents pour se permettre, de temps en temps, des vacances en Tunisie ou même sur les plages de Bejaia, les sites du Tassili ou Djanet au sud où ils peuvent «se décompresser» un peu de leur vécu étouffant, voir le monde autrement …, mieux respirer ?
Comment vit, par exemple, un couple de jeunes mariés à Bab El-Oued ou à Ain El-Benian, dans la banlieue algéroise, à Koléa, Oued Rhiou, Oran, Mascara, Djelfa, etc. ? De quoi son quotidien est-il fait? Comment gère-il son budget avec cette loi de finances anti-populaire, la hausse des prix des produits de consommation, l’austérité, la cherté de la vie? Comment regarde-t-il ces rentiers arrogants aux ventres bedonnants ? Les jeunes de mon pays espèrent-ils vraiment de bien belles choses en ce nouvel an qui aurait déjà commencé par des images d’émeute, de saccage de biens publics et de violence dans nombre de villes ? Et puis, pourquoi les nôtres, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, veulent-ils tous partir ailleurs ; s’exiler ; quitter leur patrie ? La détestent-ils sérieusement ? Ou n’est-ce là que l’effet du spleen et du dégoût provoqués par une Algérie fermée, sinon recroquevillée sur elle-même, faute de mobilité et de mouvement? Que se passe-t-il réellement dans leurs têtes ?
A entendre les nôtres, rien ne va. Rien ! Absolument ! Aucune chose ne fonctionne « normal » dans ce bled qui leur tourne le dos comme une marâtre, tout le temps mécontente d’une progéniture qui ne lui appartient pas « de fait » mais à laquelle elle doit « de jure » protection et sauvegarde ! Mais après, ce « normal »-là n’est en plus, figurez-vous bien, qu’une invention in-vitro qui agrémente ce dictionnaire linguistique du terroir, combien rempli à ras bord de néologismes fantastiques. En gros, bien qu’on fasse souvent appel à lui, « normal ne se trouve qu’à la pompe essence chez nous », ironise ce jeune-là, un des nôtres que j’avais croisé un jour dans une ville hexagonale, les yeux malicieux, la bouille tranquille et les cheveux déjà grisonnants, entamé qu’il est par les morsures d’un exil dont il n’a jamais voulu.
Pour lui, les Algériens sont des êtres anormaux qui normalisent et « dénormalisent » les choses à leur guise matin et soir comme atteints d’un syndrome de bipolarité. « Et l’Algérie ? » l’interrompis-je avec une douceur discrète digne d’un optimiste vite déçu «à laisser et à oublier parce qu’irréformable, incorrigible, inchangeable… irrécupérable! ». Ce dernier a-t-il raison ou non ? On n’en sait rien! Mais, il est à noter que, de la mairie à l’hôpital, de la rue au foyer, de la maison de culture au tribunal, des cinémas transformés en pizzerias aux jardins publics désertés pour nuisances et insalubrité, tout sent le pourri! Quand, de leur côté, beaucoup des nôtres sont comme ces silos gourmands, insatiables, insatisfaits, râleurs qui se plaignent toujours de leur sort sans bouger le petit doigt pour agir. « Un Algérien, termina cet ami du hasard en guise de conclusion, est une bouche ouverte prête à caqueter, crier, critiquer, fulminer, donner des ordres à tout le monde sauf à son bras qui reste hélas…cassé ».