Voilà un livre qui intéressera sans doute les Algériens vivant en France et certainement d’autres personnes de la deuxième génération de l’émigration maghrébine. Il tord le cou au cliché du Beur paumé qui végète dans les banlieues, voué au chômage et à la mal vie, quand il ne bascule pas dans la délinquance. Dans Ces enfants d’immigrés qui réussissent, parcours, devenir socioprofessionnel et stratégies familiales, paru en 2016 aux Éditions L’Harmattan, Boussad Boucenna “prend à contrepied les études et les trop nombreux débats médiatiques principalement centrés sur l’échec, la délinquance, la pratique d’un islam radical ou le repli communautaire”. L’ouvrage, né d’un mémoire de mastère en “travail social et intervention sociale” soutenu au Cnam, est un travail de recherche qui “met en évidence des trajectoires socioprofessionnelles de quelques parcours de réussite afin de s’interroger sur les conditions sociales de son accomplissement”.
Boucenna brise un autre stéréotype qui consiste à désigner systématiquement les politiques publiques comme causes principales des échecs scolaires, professionnels et sociaux des jeunes des banlieues françaises issus de l’émigration, innocentant du coup des parents qui démissionnent et abandonnent leurs enfants aux dangers de la rue. Il introduit dans l’analyse la notion de “stratégies familiales” pour affirmer que le comportement parental dans l’éducation et le devenir des jeunes est décisif. L’auteur précise qu’il “existe une corrélation entre la réussite professionnelle et le degré d’intégration de la famille”. Pour comprendre le sujet, il rappelle le contexte historique de la colonisation de l’Algérie par la France pour arriver à la conclusion que “les parents de ces jeunes se sont construit une identité fondée également sur leur expérience d’individus colonisés ; puis immigrés dans le pays colonisateur”. Boussad Boucenna évoque leur parcours, le chômage, les bidonvilles, le racisme, les humiliations, l’exclusion sociale. Mais il revient à son fil conducteur en mettant en évidence le courage des parents qui se privent de tout pour la réussite scolaire de leurs enfants comme pour souligner chaque fois que l’échec des enfants d’immigrés n’est jamais une fatalité.
Cependant, les combats individuels avaient besoin des luttes politiques contre les discriminations et le racisme menées par des intellectuels, des associations, des partis et des institutions comme la Haute autorité contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Quel que soit l’engagement des parents, il existe des écueils. “Le rapport de la Halde précise qu’une discrimination à l’emploi sur deux est imputable à l’origine… la réalité des discriminations donne plus de complexité au contexte dans lequel la réussite professionnelle des jeunes issus de l’immigration algérienne se fait”, affirme l’auteur qui donne ensuite la parole à des Algériens de l’immigration, de première et de seconde générations, pour exposer leur parcours et celui de leurs enfants et leurs sacrifices pour donner plus de chances de réussite à ces derniers. Mais, avertit l’auteur, “même si la mobilisation familiale apparaît clairement dans le parcours des enfants, celle-ci peut s’avérer moins efficace et plus complexe si on ne retrouve pas une parfaite adhésion entre le souhait des enfants et celui des parents”.
Rompant avec les anciens clichés qui s’appesantissent sur les dérives des jeunes Beurs, l’analyse sociologique de Boussad Boucenna, bien documentée et enrichie de témoignages vivants, propose un autre regard sur ces jeunes confrontés aux problématiques des quartiers sensibles. Le message est limpide : la complémentarité entre les politiques publiques pour l’égalité des chances, la vigilance et les combats de la société civile, d’un côté, et l’engagement fort des parents, d’un autre, peut conduire à la réussite scolaire et professionnelle des jeunes issus de l’immigration algérienne de la seconde génération.
Boussad Boucenna, originaire d’Algérie, est né à Argenteuil, quartier sensible situé en région parisienne. Responsable d’un service enfance-jeunesse, il est titulaire d’un mastère de recherche d’où est né le livre objet de la présente note de lecture.