Avec l’exposition Made in Algeria au MuCEM, Marseille regarde de l’autre côté de la Méditerranée pour découvrir la généalogie de l’Algérie, ses représentations et sa cartographie qui participèrent, au temps de la colonisation, de l’invention du pays. Entre la carte et le territoire s’intercale le regard de trois artistes contemporains.
Katia Kameli, Le Roman algérien
Katia Kameli, L’Œil se noie, photographie tirée du film Le Roman algérien, 2015, projection vidéo.
Depuis des décennies, il aide les Algériens à comprendre leur histoire. De loin, ça n’est pas grand chose : un kiosque à images dans une rue d’Alger, des dizaines de photographies et de cartes postales exposées là au vent et au vol, attachées par des pinces à linge sur une simple bâche posée contre un mur.
De plus près, c’est un vrai musée vivant de l’Algérie d’autrefois : scènes de genre et de paysages pour cartes postales à l’usage des colons qui souhaitaient envoyer en France une image de la contrée rêvée aux ressources infinies ; portraits d’hommes politiques (Che Guevarra, Fidel Castro venus là répandre la bonne parole, jusqu’à l’actuel président Bouteflika) ; portraits d’ouled nailed, « alouettes naïves » parées comme des princesses, femmes d’une grande beauté forcées à la prostitution. Chaque jour, les images sont ordonnées différemment, et l’Histoire pourrait se raconter autrement.
Le succès du kiosque de la famille Azzoug ne se dément pas depuis des décennies. Cette banque d’images à la fois éphémère et perpétuelle le doit à la fois aux collectionneurs de cartes postales anciennes, et aux étudiants, dont les livres d’Histoire sont ponctués d’oublis béants. Dans son film Le Roman algérien, l’artiste franco-algérienne Katia Kameli filme ces images au plus près. Au flot bruyant de la rue se mêle le flux des visages et des paysages d’une Algérie à la fois rêvée et bien réelle.
Jason Oddy, Concrete Spring
Jason Oddy, Concrete Spring/Printemps béton, 2013, série de 14 photographies. Courtesy Jason Oddy/Gallery Vassie, Amsterdam.
Le Britannique Jason Oddy porte un regard à la fois plus distancé et plus frontal sur l’Algérie, comme réservoir de formes. Des formes en l’occurrence architecturales, celles dessinées par le Brésilien Oscar Niemeyer de 1969 à 1975 pour diverses réalisations algériennes : l’université Bab Ezzouar et le Complexe olympique d’Alger, ou encore l’université Mentouri de Constantine.
Spécialiste des vues architecturales déshumanisées (dans des séries sur les sanatoriums ukrainiens, le Palais des Nations à Genève ou encore le Pentagone à Washington), Jason Oddy révèle dans la série Concrete Spring (« printemps de béton », référence au printemps arabe) la défaite des utopies, et la fin d’un temps où l’Algérie se projetait dans la modernité la plus engagée.
Zineb Sedira, Les Terres de mon père
Zineb Sedira, Les Terres de mon Père, 2015, série de 9 photographies. Courtesy Zineb Sedira et galerie Kamel Mennour, Paris © Adagp, Paris 2015.
Un vieil homme marche seul dans un cimetière ancien où des pierres dressées, trop fragiles pour être relevées, viennent rappeler la vie de ses ancêtres. Il souhaite retrouver sa terre, restaurer les maisons, faire revivre le village. Son regard embrasse le territoire de ses souvenirs. Autour de lui, le paysage s’est arasé par une irrémédiable entropie, dans un retour au territoire brut : « Des pierres et de la terre, rien de plus », résume-t-il. Nous sommes dans les Aurès, à l’est du pays, là où la guerre d’Algérie fut particulièrement répressive.
L’artiste Zineb Sedira débute ce bouleversant film, Les Terres de mon père, par une ligne rouge sang courant sur une carte. Elle est là, ensuite, dans ce paysage de famille, comptant les pas dans les pas de son père, retrouvant dans l’aridité de la terre sa propre histoire.