Cette langue n’est pas mienne mais mon butin de guerre.

Cette langue n’est pas mienne mais mon butin de guerre.

« Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne » (*) est un essai de Khaoutar Harchi qui va paraître le 7 septembre à Paris, je ne l’ai donc pas lu. Le présent article préparé et écrit il y a quelques jours, je le dédie à Nabile Farés qui vient de décéder, grand écrivain qui rêvait d’un autre Présent pour sa chère Algérie. Et à travers lui, un hommage à tous ces écrivains algériens qui ont retourné la langue de l’autre contre l’oppression imposée par cet autre.

« La langue est mon territoire, ma patrie », disent des écrivains dont l’œuvre est écrite dans une langue autre que maternelle. Cela a été dit si souvent que ça devient un lieu commun. Ce titre, « je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne » ne correspond pas au rapport que les écrivains algériens entretiennent avec la langue française. Pour ma part je lui préfère la fameuse phrase de Kateb Yacine, « la langue française est un butin de guerre ».

L’image du butin de Kateb ne faisant pas l’impasse sur le rapport colonial. L’appropriation de la langue française par les écrivains algériens est le fruit amer de la colonisation car leurs langues maternelles étaient frappées d’interdits des classes de la maternelle à l’université. D’une certaine façon, ils n’ont pas choisi la langue française par amour comme chez l’Américain Julien Green ou Andreï Makine le Russe. Ils ont été choisis par elle car c’est la langue de la vie économique et politique (tous les documents/archives de la révolution sont écrits en français). Mais c’est aussi une grande langue qui a véhiculé des idées qui ont fait progresser l’histoire de la France (Voltaire et Diderot) et ensuite par ricochet ravager l’Europe (Napoléon). Ceci dit, la phrase de Kateb me rappelle l’analyse de Jean-Paul Sartre sur la langue de Jean Genet. Ce dernier, on le sait est un enfant de l’assistance publique.

Un sort qui l’a fait glisser sur le « terrain hors-la loi » l’entraînant de prison en prison. Sartre venu au secours de Genet l’un des plus grands écrivains du XXe siècle, a basé sa défense sur la qualité exceptionnelle de la langue de Genet. Et Genet d’expliquer que pour sortir de l’enfer de la prison, il lui fallait écrire dans la langue la plus classique pour se faire comprendre de ses ennemis de classe. Chez Kateb comme chez Genet, pour que leur écriture portât ses fruits, il leur fallait « violer » la langue car celle-ci a tendance à être formatée par les pouvoirs pour handicaper son caractère subversive. Kateb comme Genet ont donc malmené la langue de l’oppresseur en élevant ladite langue au sommet de sa splendeur et en la transformant en une arme redoutable de séduction qui désarme précisément l’oppresseur.

Ce petit détour par ces deux grands écrivains permet de cerner le rapport que les écrivains algériens, me semble-t-il, entretiennent avec la langue française. Lequel rapport permet à son tour de saisir le regard de la critique française et ses différentes succursales littéraires sur les écrivains algériens. Une chose frappe d’emblée, son regard (de la critique) est d’abord conditionné par les tumultes de l’histoire (**). Ensuite, le jugement de cette critique sur les œuvres algériennes fait des infidélités aux qualités littéraires pour sombrer dans les bras de l’idéologie de la doxa (idées dominantes). La sentence des avocats de ladite doxa est d’autant plus lourde que l’auteur est un citoyen engagé politiquement. (***) C’est ainsi que Kateb Yacine et Mohammed Dib ont fait les frais de leur engagement pour l’indépendance de leur pays. Cependant, leurs œuvres, heureusement n’ont pas été ignorées par la critique progressiste qui avait remarqué et loué leur immense qualité littéraire.

Un troisième écrivain plus jeune, postindépendance, fit une entrée remarquée sur la scène littéraire avec la publication de « La répudiation ». Les œuvres de ces trois écrivains liées à la chaude et tragique histoire coloniale de notre pays n’ont jamais été proposées aux fameux cercles qui distribuent les grands prix littéraires. Le souvenir de la guerre d’Algérie s’estompant, Assia Djebar bénéficia d’une sorte d’amnistie. Elle vécut une deuxième jeunesse en tant qu’écrivaine pour ses romans à la fois historique et « féministe ». Ses écrits sur la langue française ont certainement séduit la vieille institution de l’Académie française puisqu’elle lui ouvrit ses portes, devenant ainsi une Immortelle. Elle aurait été dit-on, mise sur la liste des nobélisables potentiels, info ou intox de journalistes voulant tirer profit de l’évènement si jamais il se concrétisait…

A la guerre d’indépendance succéda une guerre sale et à huis clos à partir des années 1990. Le monde et donc le France « ignora » cette guerre contre l’intégrisme islamiste qui ne la touchait pas à cette époque. Elle change d’avis aujourd’hui que la terreur a envahi ses villes et ses églises. L’intégrisme islamiste devenant une obsession, il fallait le décrypter. Qui mieux que la littérature peut sonder les âmes d’une société et fouiller les labyrinthes de l’histoire ? C’est alors que l’on se souvient qu’il existe des écrivains algériens. On commença peu à peu à les inscrire sur les listes des grands prix littéraires, l’Académie française, le Femina et le Goncourt le plus prestigieux d’entre eux. On connaît les transactions et autres magouilles entre les éditeurs pour faire partie de la sélection des prix. Certes les qualités littéraires ne sont pas absentes dans le choix d’un prix mais les considérations idéologiques et aussi mercantiles (exigence du marché qui ne doit pas ignorer les désirs/besoins pour fidéliser les lecteurs) sont présentes dans le choix du futur et heureux élu.

Ainsi des écrivains algériens ont-ils, ces dernières années, faire leur entrée dans le cercle restreint des futurs lauréats car ils abordaient et la guerre d’Algérie et l’intégrisme… Signalons tout de même qu’un écrivain, Salim Bachi n’a pas bénéficié du même tintamarre alors qu’il avait écrit de remarquables romans comme « Le chien d’Ulysse », « Tuez-les tous » ou « Le silence de Mahomet ». Il faut dire qu’à cette époque il n’y avait pas le feu intégriste dans la Maison France. En revanche, Yasmina Khadra eut droit à une « reconnaissance » d’estime quand il s’est aventuré sur le terrain de la « nostalgérie » en mettant en scène des Français d’Algérie qui aimaient le pays qui les a vu naître. Des Français qui n’étaient pas tous des « salauds » (on le savait). Des Français « moyens » comme on dit, à l’image du réalisateur Alexandre Arcady qui transposa « Ce que le jour doit à la nuit » de Yasmina Khadra au cinéma.

Ce n’est pas avec un tel titre résumant l’idéologie de l’auteur que l’on peut atteindre les sommets de la littérature. Ce que le jour doit (l’indépendance) à la nuit(****)(la colonisation). Je ne sais pas mais moi ce titre me rappelle une certaine loi sur les effets positifs de la colonisation. Le deuxième roman de Khadra « L’attentat » (phénomène du kamikaze en Palestine). Tiens, tiens, Algérie de Papa, Palestine des « désespérados », tout pour plaire à une idéologie qui refoule l’histoire coloniale du monde. Reconnaissance de Khadra par le « grand public » mais walou, nada du côté de ses pairs. Certes, la reconnaissance des pairs n’est pas un chemin obligé pour être/devenir un grand écrivain.

De grands écrivains dans le monde l’ont prouvé. Je n’ai pas la prétention de définir ce qu’est un grand écrivain. En revanche, ce que je sais, c’est que tout œuvre artistique est un regard sur la vie, le monde, un regard conditionné, soutenu, enrichi par une vision du monde. Bref, un roman, un film, un tableau de peinture raconte une histoire avec les formes les plus sublimes pour rendre compte de la complexité du monde. Voyant si la guerre contre l’islamisme a accouché d’écrivains de talent comme la guerre d’Algérie a enfanté des Kateb, Dib et même Malek Haddad qui arrêta d’écrire dans la langue de Molière.

Des écrivains qui peuvent éclairer notre lanterne à nous et non pas seulement désangoisser l’Occident dont les « élites » sont analphabètes de l’histoire et des langues des pays qui ont enfanté l’islamisme. Pourquoi diable ce sont des écrivains français comme Mathias Enard avec « Boussole » prix Goncourt 2015 ou bien Laurent Gaudé avec « Ecoutez nos défaites » bien placé pour le prix de 2016, pourquoi donc ce sont ce genre d’écrivains français qui disent les quatre vérités à cet Occident, non pour le désangoisser mais pour qu’il laisse d’une certaine façon en paix l’autre monde, par exemple en Palestine, en Irak et en Syrie.

En posant cette question, on soulève d’autres interrogations. Celle de cette Algérie provoquant l’exil non pas comme au temps de Kateb Yacine mais cette fois un l’exil de ce jour tant attendu mais qui n’a pas répondu à tous les espoirs à tel point qu’il fait regretter la nuit à certains….

Ali Akika cinéaste

Renvois

(*) Ce titre « appartient » à Jacques Derrida, philosophe né à Alger.

(**) de grands écrivains français ont aussi subi les foudres de l’histoire. Bernard Noël a été interdit car son roman parlait de la torture de l’armée française. Tombeau pour 500 000 soldats de Pierre Guyotat contre la boucherie de la guerre 1914.

(***) Rachid Boudjédra, invité à France-Inter pour parler de son dernier roman fut littéralement agressé et sommé de parler de ‘’la guerre civile’’ en Algérie. Rachid fit poliment savoir au journaliste qu’il aimerait parler de son roman. Devant l’attitude imbécile et ‘’pornographique’’ du journaliste, Rachid s’en alla et le laissa monologuer dans le vide.

(****) La nuit pour Kateb Yacine est coloniale, qui a donné naissance, dit-il à l’Algérie en exil (exil intérieur et d’ailleurs).