Chafia Mentalechta, députée de la communauté algérienne établie en France : «C’est ridicule d’élargir la liste des interdictions aux binationaux !»

Chafia Mentalechta, députée de la communauté algérienne établie en France : «C’est ridicule d’élargir la liste des interdictions aux binationaux !»

La présentation dimanche par le garde des Sceaux du projet de loi fixant les postes de haute responsabilité de l’Etat interdites aux binationaux a donné lieu à des échanges intenses.

A l’issue de l’intervention de Tayeb Louh, des députés du RND, du MSP et du PT ont appelé à ce que cette liste restrictive soit élargie à d’autres fonctions et domaines de compétence. Une réaction que la parlementaire de l’Union des forces démocratiques et sociales, députée de la zone 1 France Nord, considère dans un texte qu’elle a publiée sur les réseaux sociaux comme l’expression d’un ostracisme inacceptable et un mauvais signe envoyé aux Algériens de l’étranger. Entretien.

Reporters : Vous êtes en colère contre l’appel du RND et du PT d’élargir la liste des hautes fonctions interdites aux binationaux. Pourquoi ?

Chafia Mentalechta : Tout d’abord, je tiens à vous expliquer que tout le monde parmi la communauté nationale établie à l’étranger et binationaux s’accordent pour dire que les postes clés sensibles liés à la sécurité de l’Etat, sa sécurité militaire, politique et économique ne peuvent pas être occupés par eux.

C’est une règle appliquée partout ailleurs dans le monde pas uniquement le nôtre. La différence est que dans ces pays, ces fonctions ne sont pas inscrites dans la Constitution comme étant « interdites » aux binationaux. D’ailleurs, nous sommes tous au courant que la désignation des personnes qui sont censées occuper ces fonctions sont nommées directement par le président de la République et relèvent uniquement de ses prérogatives.

Pour ces raisons, je trouve que c’est ridicule de la part des députés RND et PT de vouloir élargir davantage cette liste. Maintenant, je sais qu’Ahmed Ouyahia a un problème avec les binationaux, mais je ne peux trancher s’ils sont d’ordre structurel ou ponctuel. M. Ouyahia quand il s’est attaqué tout récemment aux binationaux, il a expliqué par la suite en disant « je n’ai pas de problèmes avec les binationaux établis à l’étranger, mais avec ceux établis à l’intérieur du pays ». Je pense que ce monsieur a un problème avec des personnes bien définies.

Donc, l’idéal à mon avis, c’est qu’il règle ces problèmes avec les personnes concernées. Et je lui dis aussi qu’on ne fait pas une loi pour régler un problème personnel, mais que les lois sont faites pour l’ensemble des citoyens. Dans le cas contraire, faire des lois pour régler les problèmes personnels du secrétaire général du RND, ça pose un problème à la population et à la politique.

Comment selon vous en est-on arrivé à la nouvelle disposition constitutionnelle sur les binationaux ?

Je ne sais pas qu’est-ce qui a motivé l’élaboration de cette loi. D’ailleurs nous n’avons pas de réponse aux plusieurs questions. La tutelle a eu des concertations avec des partis politiques, des consultations avec la société civile, mais le gouvernement n’a jamais pensé à consulter la communauté établie à l’étranger. Je regrette le fait que la communauté nationale établie à l’étranger n’a pas été consultée à aucun moment sur la Constitution.

Les décideurs ont oublié à la fois la communauté et les députés de l’immigration qui auraient pu alerter l’Etat et comment éviter de choquer une population radicalement attachée à son pays d’origine. Personnellement, je suis persuadée que l’erreur a été commise lors de la consultation en nous écartant par voie populaire avec les binationaux et par voie officielle avec nous députés.

Est-ce un mauvais signal envoyé à la diaspora ?

Je pense que le mauvais signal a été donné en février dernier lors de l’inscription de l’article 53 de la Constitution. Pour se rattraper, l’Etat a eu l’idée de faire une liste des fonctions qui exigent pour l’exercice de certaines d’entre elles l’exclusivité de la nationalité algérienne, et ce, en s’appuyant sur des textes déjà existants dans le code la Fonction publique pour faire passer cette loi. Je tiens à féliciter l’Etat pour ce rattrapage constitutionnel.

À votre avis, cela est dû à la faible représentation des Algériens de l’étranger à l’APN ?

On n’est pas très nombreux à l’APN. Nous sommes, huit pour le monde et quatre pour la France. Si je m’attarde sur le cas de la France, nous avons 5 millions d’Algériens que représentent 4 députés, alors que les 800 000 Tunisiens sont représentés par 10 députés dans leur pays d’origine. Ajoutons à cela, les difficultés des collègues députés qui sont dans des partis politiques et qui sont soumis par conséquence aux obligations partisanes bien qu’ils ne soient pas tout à fait d’accord avec les positions de leurs partis sur les binationaux et ne peuvent en aucun cas s’y opposer.

Il vous serait difficile de se constituer en force de pression ?

C’est quasiment impossible, comme je disais, ceux liés à des partis politiques n’ont pas de liberté pour s’exprimer. Donc, on ne peut se constituer comme force de pression.