Pour adapter la politique pétrolière algérienne à la nouvelle donne énergétique, il faudrait comprendre pourquoi l’Arabie saoudite pousse le prix du pétrole vers le bas au risque de perdre beaucoup d’argent ?
Pour les Algériens, l’Arabie saoudite se résume à quelques clichés. C’est le pays qui abrite les Lieux Saints de l’Islam, un pays exportateur de pétrole et d’idéologie wahhabite, avec des princes riches qui viennent tuer, ou plutôt massacrer l’outarde en Algérie. Accessoirement, c’est un pays qui pousse délibérément le prix du pétrole à la baisse pour imposer son pouvoir, sans se soucier des difficultés endurées par d’autres pays exportateurs, plus fragiles.
En période de crise, la critique se fait plus dure, à la limite de l’insulte, voire du racisme, comme au lendemain de la décision saoudienne de mettre l’Algérie sur la liste des pays qui ne font pas assez dans la lutte contre le financement du terrorisme. La plupart des commentateurs algériens se sont montrés outrés par cette manœuvre. Comment le pays qui fournit la matrice idéologique et le financement du terrorisme peut-il formuler une telle accusation contre l’Algérie qui a payé aussi cher la dérive des années 1990 ? Cela débouche évidemment sur une profonde incompréhension.
Mais le malentendu n’est pas nouveau. Et il est si profond qu’il empêche une partie des Algériens, dont des responsables chargés de gérer le secteur de l’énergie, d’avoir une perception correcte de ce qu’est l’Arabie saoudite, de ce que sont ses intérêts et ce qui motive son action, particulièrement dans le domaine du pétrole. De manière mécanique, cette défaillance empêche l’émergence d’une analyse lucide de la situation. Le résultat est inévitable : on n’arrive pas à adapter la politique pétrolière algérienne en fonction des données réelles. Le volet idéologique ou émotionnel prend le pas sur le reste.
GUERRE DES PRIX
Au milieu des années 1980, déjà, l’incompréhension était là. L’Arabe saoudite s’était alors engagée dans une guerre des prix pour des raisons de politique régionale et pour défendre ses propres intérêts. L’Algérie avait subi de plein fouet cette crise, qui avait débouché sur Octobre 1988. Mais l’Algérie n’était pas l’ennemi numéro un de Riyad. C’était plutôt une victime collatérale d’un conflit opposant d’autres acteurs.
En 2014, l’Arabie saoudite s’est de nouveau lancée dans la même bataille, contre de nouveaux adversaires, avec d’autres moyens, mais pour le même enjeu. Riyad vise un double objectif. Elle veut rester le maître du pétrole et elle veut surtout que le pétrole reste le maître de l’énergie. Des données très simples permettent de comprendre ses motivations et de s’apercevoir à quel point certaines critiques adressées à l’Arabie saoudite sont futiles.
Ce pays possède les premières réserves au monde et demeure le premier producteur. Il est parfois dépassé par la Russie et reste talonné de près par l’Irak sur certains aspects, mais sur le fond, cela ne change pas grand-chose. L’Arabie saoudite possède des réserves pour un siècle, probablement pour deux siècles.
Cela signifie que le pétrole continuera de rapporter à ce pays aride, dépourvu de ressources alternatives, l’équivalent de 500 à 1.000 milliards de dollars par an pendant de longues décennies. Vue sous cet angle, l’exploitation du pétrole n’est pas, pour ce pays, une question de revenus, ou de puissance seulement. C’est une question de survie. Sans le pétrole, l’Arabie saoudite deviendra, sur le plan géostratégique, moins importante que le Yémen. Elle ne comptera plus. Elle existera à peine.
RATIONALITE
Quel que soit le prix du pétrole et quelle que soit l’évolution de la consommation, cette position amènera naturellement l’Arabie saoudite à tout faire pour contrôler certains verrous, liés à la production, aux sources et au prix de l’énergie. Ainsi, Riyad fera-t-il tout pour s’assurer de rester le premier acteur du marché pétrolier. Face aux consommateurs, elle veut garder une capacité d’imposer un minimum de conditions, ce qu’elle ne peut faire si sa production devient marginale, ou si elle n’est plus en mesure de peser sur le marché.
L’Arabie saoudite veut aussi s’assurer qu’aucune source d’énergie ne viendra remplacer totalement le pétrole. Résultat de cette démarche : si le coût des énergies alternatives, comme le solaire, baisse, l’Arabie saoudite baissera les prix pour maintenir un avantage au profit du pétrole. Elle fera tout pour s’assurer que le solaire ne remplacera pas le pétrole. Sa survie en dépend.
Inutile, de ce point de vue, de se demander pourquoi l’Arabie saoudite ne sera pas un grand pays écologique, ni pourquoi elle n’investira pas massivement dans le renouvelable. A moins qu’elle n’y trouve son compte, sous une autre formule : produire de l’énergie pour son marché domestique pour exporter plus de pétrole et pouvoir dans le même temps influer sur l’évolution du renouvelable.
ET LE GAZ DE SCHISTE ?
Il était dès lors logique que Riyad voit d’un mauvais œil l’émergence du pétrole de schiste qui permettrait aux Etats-Unis de peser sur le marché du pétrole. Pour l’Arabie saoudite, il était hors de question de permettre aux hydrocarbures non conventionnels de devenir des concurrents directs à ses propres ressources.
Il fallait donc agir pour écraser la production du non conventionnel en poussant les prix vers le bas jusqu’à ce que cela provoque une baisse des investissements et une chute des forages dans le non conventionnel. Objectif atteint : au mois de mai 2015, la production de pétrole de schiste a connu sa première baisse, pour la première fois depuis une décennie.
Enfin, l’incompréhension entre Alger et Riyad frise l’aveuglement quand des commentateurs accusent l’Arabie saoudite d’agir contre ses propres intérêts lorsqu’elle pousse le prix vers le bas. Une vision primaire voudrait qu’en vendant son pétrole à un prix plus élevé, l’Arabie saoudite gagnerait plus. Sauf qu’elle risque ainsi de creuser sa propre tombe, en poussant à la recherche d’alternatives au pétrole.
Comment, dans ces conditions, défendre au mieux les intérêts de l’Algérie, qui possède peu de réserves conventionnelles, mais probablement plus de gaz de schiste ? Là est la question. Pour y répondre, il faudrait en premier lieu connaître les motivations du premier producteur au monde, non se contenter de quelques clichés hérités des années 1970.
On s’apercevra alors que Riyad agit de manière rationnelle pour préserver ses intérêts sur le très long terme. En tous les cas, elle fait mieux qu’un pays qui a réussi à décrédibiliser le gaz de schiste alors que c’est une ressource qui peut devenir centrale sur le siècle à venir.