Saadiya, plus connue sous le célèbre nom de Cheikha Rimitti, est née en 1923, au milieu de ce qui est actuellement appelé, la première vague du féminisme en Occident. Mais dans son petit patelin, la Cheikha nationale, était obligée de tracer elle-même sa propre voie, au sein d’une société purement patriarcale.
Cheikha Rimitti a déclaré que c’était elle qui avait enfanté le Rai. « Ana li Wledt Rai », disait-elle. Mais on doit à cette Diva bien plus que cela.
À elle seule elle avait pu bousculer les mentalités et les tabous de l’époque, chanter seule contre tous, la femme, son corps, et ses misères. Rimitti, dont le nom proviendrait selon la légende de l’injonction « Remettez, remettez-moi ça ! », a pu s’imposer comme une icône incontournable de la chanson bédouine. Elle fut l’une des toutes premières femmes à défier la société, à réclamer ses droits, et à chanter et danser sur les rythmes d’El Gasba et d’El Guellal.
Rimitti, une féministe malgré elle ?
Tout commence pour Cheikha Rimitti quand elle avait à peine 20 ans. La jeune Saadiya a été contrainte de quitter son village natal à Tessala, dans la wilaya de Sidi Bel abbés, après la mort de ses deux parents.
En plein deuxième guerre mondiale, quand les femmes européennes commençaient à s’émanciper, Cheikha Rimmiti elle, triait les tomates dans les locaux d’un exportateur de légumes à Relizane.
Le seul regret de Cheikha Rimitti c’est de ne pas avoir connu les bancs de l’école. Elle confie toutefois que « c’est le malheur qui m’a instruit, les chansons me trottent dans la tête et je les retiens de mémoire, pas besoin de papier ni de stylo ».
Rimitti se lancera pendant les années 40 à la poursuite de son destin exceptionnel. Elle va suivre, comme une gitane, une troupe de musiciens nomades, Les Hamdachis.
La Diva nationale va connaitre une vie misérable, elle vivra en marge de la société, elle sera pauvre et connaitra les maladies et les épidémies. Mais courageuse, elle va se lancer dans la dance et dans le chant contre vents et marrées. La jeune Saadiya, douée d’une mémoire remarquable, va vite être imprégnée par le style bédouin.
« Charrak gatta », ou la rupture avec bienséance
Avec son premier succès en 1954, « Charrak gatta », ce qui veut dire littéralement « Déchire découpe », la cheikha nationale va s’attirer les foudres de la société bédouine profondément conservatrice. Rimmiti, dans cette chanson, va oser s’attaquer, ouvertement, à l’un des tabous encore d’actualité en Algérie. La virginité.
Saadiya, déjà déchue de tout espoir de s’intégrer dans le moule sociétal de l’époque, va en remettre une couche. Elle chantera courageusement, avec des métaphores à peine voilées, Charrak gatta, une chanson qui reconsidère le statut de la femme dans une société bédouine arriérée.
Dans cette chanson à succès, Cheikha Rimitti, en plus d’attaquer au tabou de la virginité, qui constituait l’honneur des tribus bédouines, va revendiquer également la liberté de disposer de son corps et de ses idées, et sa capacité à assumer les conséquences de ses actes.
La jeune Saadiya, qui n’a jamais connu l’école, soulignait déjà la capacité de la femme à assumer ses responsabilités et appelait à l’égalité des sexes, au moment où dans l’occident, des appels fusaient pour revendiquer le droit des femmes à l’avortement.
Pour Rimitti, la femme ne peut être la servante de l’homme. Elle n’est pas créée pour le compléter non plus, puisque tout les deux ils sont des êtres complets. Pour Rimitti, la femme ne peut être que la partenaire de l’homme. Dans une autre chanson, la diva chantait que « Le bien est femme et le mal est femme ».
La Censure et l’exil
Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, les chansons de la Cheikha nationale vont lui valoir les foudres de la société, mais aussi de certains hommes politiques de l’époque. La diva chantait sans gêne, l’amour, le rapport à la terre, mais aussi le corps de la femme, l’alcool, la liberté et le féminisme. Elle attaquait indirectement dans ses chansons le pouvoir en place et à son idéologie pseudo-conservatrice.
Rimitti est également une histoire d’exil. Après avoir été contrainte de quitter sa Tessala natale, après la mort de ses parents, la diva a été également chassée de Relizane, ou elle s’était installée. Saadiya, se faisait pourtant appeler à l’époque, « Cheikha Rimitti El Ghilizaniya ».
En effet, c’est en juillet 1962, une date phare de l’histoire du pays, que Saadiya fut chassée de Relizane. La Diva a été accusée par les « notables » de la région, de porter atteinte à l’honneur de sa ville d’adoption. Deux hommes étaient chargés par la commission d’amener Cheikha Rimitti à Oran.
Meme pas dix ans après, sous pression, la Diva nationale va être contrainte de quitter le pays et de s’installer définitivement à Paris. Elle ne va jamais plus se produire sur les scènes de son propre pays. Elle va se contenter de chanter l’amour de sa terre de loin. En novembre 2019, une place du 18e arrondissement, à Paris, va être baptisée la place Cheikha-Remitti.