À la suite de sa conférence, « Patrimoines du Maghreb et inventaires », donnée le mardi 06 décembre 2016 à l’İnstitut français d’Alger (İFA), la professeure Bernadette Dufrêne fera l’éloge des dernières photographies frontales de Stéphane Couturier dans un article que publiera une semaine plus tard le périodique El Watan.
İllustré par le cliché d’une façade d’immeuble, dont les pare-soleil ou voilages à rayures verticales (bleues et blanches) rappellent une installation du plasticien Daniel Buren, le papier « La beauté d’Alger » décrit avec beaucoup de condescendances, voire de complaisances, les transformations que les nouveaux Babelouediens ont infligées à l’architecture haussmannienne bâtie lors de la colonisation de peuplement. L’universitaire résumera ces altérations esthétiques à un « patchwork culturel » témoignant « (…) des nouveaux modes d’habiter depuis l’indépendance », alors qu’il résulte à notre sens d’un bric-à-brac que Stéphane Couturier recompose à l’aide de montages digitaux.
Cependant, si l’ajustage numérique des prises de vue lui permet, par juxtapositions ou superpositions d’images, d’amplifier les travestissements environnementaux, il reflète aussi un subterfuge aboutissant à fabriquer du leurre.
Destiné depuis le XVII° siècle à troubler la perception du spectateur, le trompe l’œil conduit donc Bernadette Dufrêne à s’extasier devant des « (…) tentures aux couleurs et motifs variés » pourtant déjà installées au temps des pieds-noirs pour faire écran à l’intensité de la lumière ou aux mateurs tentant de percer l’intimité d’une « canus » (néologisme désignant une belle midinette ou « caille », selon le journaliste et écrivain Edmond Brua).
Le regard de l’intrus butait face à un voilage aussi occultant que les superpositions technico-rétiniennes d’un homme s’ingéniant à capter les artifices que des citadins de seconde zone impriment sur une réalité quotidienne estompée des mémoires du passé : défragmentés, les chocs visuels effacent en effet le souvenir des ambiances ou atmosphères d’antan.
İntitulée justement Climat de France, l’ultime série de Stéphane Couturier montre une cité logement que des démunis, sortis des bidonvilles au courant de l’année 1957, se sont appropriés pour, quelques décennies plus tard, ravaler à leur manière la contemporanéité spatiale de Fernand Pouillon, réduire son utopie en no man’s land, en ghetto des trafics, en aporie désenchantée, en incubateur d’islamistes radicaux. İnspiré par le patrimoine argileux du M’Zab, de Ghardaïa, d’El-Goléa et Timimoune, l’ancien aspirant au métier de peintre débuta en 1954 un projet qu’il connotera d’une approche atypique de l’arabesque, de parcours hiérarchisés et de seuils interdépendants.
Le dénivelé de ces surfaces servira de déambulatoire à Omar Gatlato, titre éponyme d’un film qui en 1976 rompait, tant dans le fond que dans la forme, avec la raideur canonique du cinéma « révolutionnaire ». Lorsque le réalisateur Merzak Allouache promenait l’acteur principal au cœur de la « Casbah moderne du 20ème siècle » (« Climat de France »), il l’embourbait dans la misère sexuelle et le labyrinthe-impasse d’une société gavée d’injonctions volontaristes.
En réponse à ces turbulences laconiques, le hâbleur Omar « frappera avec la vigueur des mots », frimera face-caméra pour mieux entraîner les cinéphiles dans les zigzags de ses confidences émotivo-dialogiques et leur avouer être épris de la voix d’une femme. Enregistrée sur une cassette audio, elle le libérera du poids de mœurs refoulés que d’autres mythomanes assouvissent en calant une silhouette callipyge à l’intérieur de bus bondés.
Dans le roman Climats de France à Alger (en finition et résumé au niveau de notre biographie éditée par Huffington post Algérie), le patronyme Omar Guettli fait évidemment écho au personnage mis en scène par l’auteur de Bab-el-Oued City. İl s’agit là uniquement d’un bref clin d’œil puisque bien que lui-même esseulé à « Climat de France », cet Omar là ne se contentera pas de simples fantasmes auditifs. Vigile des cœurs à prendre, il échappera très vite à l’urbanisation cloisonnée, partira en chasse sur les trottoirs d’Alger-la-Blanche, d’une ville ouverte sur la mer depuis la destruction de ses remparts et diverses entrées. Nommée « Porte de France », la première voyait passer au stade de l’Amirauté les nouveaux débarqués qui s’empressaient de trouver une chambre d’hôtel du côté du quartier de la Marine, celui d’une École des Beaux-Arts démolie après la Seconde Guerre mondiale puis reconstruite sur les hauteurs du Parc Zyriab.
L’itinéraire Bab-el-Oued-Telemly mènera par conséquent le lecteur du bas des rues d’Alger jusqu’à l’une de ses collines, le baladera autour des points d’impacts d’un immigré testant par touches successives une légèreté épicurienne bannie chez des autochtones de plus en plus corsetés de morales, comme si des fortifications de substitution s’étaient, d’un coup d’un seul, élevées dans leur cerveau, notamment, depuis la montée en puissance du fondamentalisme religieux. Dès lors recherché et menacé, l’ex-parisien Omar se réfugiera jours et nuits à l’École des Beaux-Arts d’Alger pour peindre sur des tableaux en peaux de chagrin l’émiettement des climats de France.