Le séjour carcéral des anciens ministres et hauts responsables détenus à la prison d’El-Harrach est l’un de ces «mystères» que les Algériens tentent continuellement de percer depuis un moment. Aux interrogations qui reviennent de manière régulière sur les réseaux sociaux, s’ajoutent des déplacements que certains n’hésitent pas à entreprendre jusqu’aux portes du pénitencier pour tenter d’en savoir plus. En prison, la vie d’Ouyahia, Sellal, et des autres célèbres locataires ne diffère pas réellement des autres prévenus.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Les langues, ne pouvant rester indéfiniment liées, ont fini par laisser filtrer des informations qui éclairent sur bien des points. «En prison, tous les détenus passent leur journée de la même manière, quels que soient la fonction qu’ils ont exercée, leur ancien statut ou les crimes pour lesquels ils ont été condamnés ou sont en passe de l’être», font savoir plusieurs avocats interrogés dans ce cadre.
La sensibilité de la situation, le respect dû aux clients et à leurs familles interdisent, cependant, à ces derniers de dévoiler leur identité. Mais rien ne les empêche de contribuer à éclairer l’opinion sur la manière dont sont détenues les principales personnalités qui ont dirigé l’Algérie vingt ans durant et le processus qui a transformé la sinistre prison en véritable lieu d’attraction.
Tout commence le 3 avril dernier. Intercepté, la veille, aux frontières algéro-tunisiennes, Ali Haddad est placé sous mandat de dépôt par le procureur du tribunal de Bir-Mourad-Raïs et conduit en fin de journée à El-Harrach où des prisonniers, surexcités, attendaient son arrivée. Ces derniers ont appris la nouvelle par la presse à laquelle ils ont droit quotidiennement, mais aussi par l’ENTV, unique chaîne de télévision autorisée et placée dans «la grande salle» où tous peuvent suivre le journal télévisé. La situation étant ce quelle était à cette époque, elle offre aux détenus des nouvelles qui les informent de l’arrivée d’un célèbre pensionnaire.
A son arrivée, l’ancien patron du FCE et oligarque réputé être très proche du cercle présidentiel qui vient de s’écrouler, passe naturellement les étapes obligatoires auprès de l’administration pénitentiaire. Des affaires personnelles lui ont été récupérées, deux jours auparavant auprès de sa famille, par les éléments qui enquêtaient à son sujet.
Le soir de son arrivée, Ali Haddad est conduit dans une aile de la prison isolée du reste des détenus. Le fait, nous dit-on, répond à des mesures de sécurité prises par le responsable de la prison que tous les avocats, interrogés dans ce cadre, qualifient «d’homme qui connaît bien son métier, qui sait préserver la dignité des détenus et respecter la présomption d’innocence».
Haddad arrive, cependant, en prison atterré par sa nouvelle condition. Des sources concordantes affirment que ce dernier refuse de s’alimenter le lendemain. Il refuse de se présenter au grand réfectoire. Un plateau lui est acheminé par des gardiens qui ont déjà eu à faire la même chose avec d’autres détenus moins célèbres le jour de leur arrivée. Le lendemain, le régime change.
Haddad est sommé de se rendre lui-même à la cantine pour s’alimenter. «Il fait chaque jour la queue avec tous les autres prisonniers», nous dit-on. D’autres oligarques et hommes d’affaires connus ne tardent pas à le rejoindre en prison. Le 24 avril, les frères Kouninef et Issad Rebrab arrivent à leur tour à El-Harrach.
Les détenus de droit commun n’en reviennent pas. Ils célèbrent l’évènement par des chants et des slogans. Les trois frères sont séparés. L’un d’eux est conduit dans la cellule où se trouve Haddad tandis que les deux autres sont placés avec le patron de Cevital. Quelques semaines plus tard, une nouvelle arrivée importante a lieu. Abdelhamid Melzi, directeur général de Club-des-Pins, homme d’affaires très proche des hautes sphères, est placé sous mandat de dépôt. Il est placé avec Rebrab.
En prison, le directeur du pénitencier tente de gérer au mieux la situation. «Ce sont des personnalités, il est naturel qu’ils attirent l’attention sur eux. Tous ceux qui ont accès à la prison, familles des détenus, parfois avocats, veulent savoir comment se déroule leur vie là-dedans. Il est normal que le directeur de la prison ait été amené à prendre des mesures pour éviter des situations fâcheuses», déclarent à ce sujet plusieurs avocats. L’une de ces mesures a consisté à fixer des horaires de «parloir» différents de ceux des autres prisonniers.
Au cours des premières semaines, et lorsque le nombre de ces détenus était encore peu important, ces séances de «parloir» avaient lieu de 12 h à 14 h , apprend-on, «mais la situation a changé depuis qu’ils sont nombreux là-dedans. La majorité passe au même moment que le reste des détenus». Par «majorité», nos sources désignent les hommes d’affaires et autres hauts cadres arrêtés dans le cadre de la lutte anticorruption. «Leur nombre ne permet plus de les laisser séjourner dans une aile isolée, ils se trouvent dans les grandes salles où l’on compte plus de soixante personnes.» Les deux P-dg de banques, BNA et CPA, récemment placés en détention provisoire, figurent sur la liste des concernés.
Seuls les anciens ministres sont maintenus «dans de petites cellules où ils sont regroupés à trois ou quatre», nous dit-on, sans fournir d’indication sur la nature des regroupements effectués. Seule information à avoir filtré : «Abdelmalek Sellal ne se trouve pas dans la même cellule que Ahmed Ouyahia.» Un avocat témoigne : «Je l’ai récemment vu parlant à son avocat au parloir, j’ai demandé à le saluer car c’est une ancienne connaissance, les gardiens ont refusé, c’est très strict, le directeur de la prison tient à ce que l’ordre règne.» A l’heure des repas, pas de différence, cependant. Ouyahia, Sellal, Djamel Ould Abbès, Amara Benyounès et Saïd Barkat vont avec les autres, «ici, il n’y a pas de cuisine spéciale ou de lieu retiré où ils pourraient s’isoler pour manger.
Les gardiens veillent toutefois à maintenir les autres prisonniers dans le calme». «Au début, et surtout à l’arrivée d’Ouyahia, les détenus étaient surexcités, ils criaient ; tapaient sur tout ce qu’ils trouvaient, passaient la moitié de la nuit à faire la fête, juraient d’empêcher l’ancien Premier ministre de dormir, puis les gardiens sont intervenus pour stopper tout cela pour éviter tout dérapage», nous dit-on. «La vie est, si l’on peut dire, redevenue normale, ou presque pour les prisonniers. Pour les autres, c’est la vie carcérale qui commence et ce système a été mis en place par ces responsables aujourd’hui incarcérés, du moins rien n’a été fait pour l’alléger, et ils le subissent.» L’une des contraintes : les traditionnels couffins des prisonniers ne sont acheminés que par quinzaine «alors qu’auparavant, les détenus y avaient droit chaque semaine».
Selon les informations que nous avons pu obtenir, les anciens ministres incarcérés n’auraient, cependant, pas le droit de recevoir ce fameux couffin «pour des raisons de sécurité». «On nous a dit qu’ils ne recevaient rien de l’extérieur, que c’est strictement interdit les concernant, la situation politique du pays est très délicate et il ne s’agit pas d’aller au-devant des problèmes.» Pour parer à «ces problèmes», le volet des soins médicaux figure également parmi les aspects primordiaux sur lequel l’accent est mis.
La maladie dont souffre Ouyahia n’étant un secret pour personne, il est de ce fait «souvent conduit à l’infirmerie. On dit qu’il y séjourne aussi parfois en raison de son état». Il n’est pas le seul. D’autres pensionnaires âgés ou suivant des traitements «sont eux aussi souvent à l’infirmerie, l’équipe médicale doit être carrément débordée».
Récemment, une demande introduite par la défense de Ouyahia pour une prise en charge médicale externe a été rejetée, «il se soignera en prison comme le reste de la population carcérale», nous confie-t-on.
A. C.