Comment vivre avec l’état d’urgence ? Les Algériens conseillent les Français

Comment vivre avec l’état d’urgence ? Les Algériens conseillent les Français

Dix-neuf ans. C’est le nombre d’années que l’Algérie a passé en état d’urgence. Promulgué en février 1992, il avait été prorogé un an plus tard et officiellement levé en 2011. Entre temps, le pays a connu la « décennie noire », opposant legouvernement et divers groupes islamistes. Les violences ont fait jusqu’à 200.000 morts.

Les attentats de Paris ont rappelé ces mauvais souvenirs à certains Algériens. « Pour beaucoup d’entre nous ces images avaient quelque chose de déjà-vu. (…) Elles ont ravivé dans nos esprits les douloureux souvenirs de ce que nous avions vécu lors de la décennie noire des années 1990 », écrit par exemple le journal « L’Expression-DZ ». Interrogé par « El-Watan », Yves Bonnet, ancien patron de la Direction de surveillance du territoire (DST), estime aussi que « la France se trouve dans une position comparable, sinon analogue, à celle de l’Algérie des années 1990 ».

« Exorciser les traumatismes »

Toophyk ressent lui « de la solidarité et de la compassion pour les victimes », mais aussi : 

Une implacable remontée de souvenirs douloureux de cette période noire que l’on a vécu en Algérie face au terrorisme aveugle. »

Face à l’état d’urgence en France déclaré samedi matin, cet habitant d’Alger souhaitant rester anonyme a voulu adresser ses conseils aux Français. « On devrait partager nos p’tites astuces de comment vivre sous état d’urgence avec nos ami(e)s français(es) », écrit-il  sur Twitter mercredi soir.

Avec le mot-clé #EtatdurgenceTips, il détaille les comportements à adopter : « La nuit, en voiture à un barrage de police : éteindre les feux, allumer le plafonnier, baisser la vitre, couper la musique » ou « Ne jamais, jamais, mais jamais sortir sans ses papiers d’identité ».

« En Algérie, on a vécu 19 ans sous état d’urgence. Ça laisse forcement des traces dans les comportements », explique Toophyk. « Je voulais juste, d’une maniere légère, via un peu d’humour, partager ça avec les Français qui le découvrent.

C’est aussi une manière d’exorciser les traumatismes liés a cette période en faisant quelques vannes. »

« Portez toujours des baskets »

Le mot-clé a été repris des centaines de fois par des internautes algériens qui ont témoigné de leur propre expérience :

– « Fermer les volets, la porte à double tour, s’équiper d’une porte métallique si nécessaire, quelque armes artisanales au cas où »,

– « Ne jamais marcher dans la rue avec plus de deux potes, ça pourrait être compris comme un attroupement non autorisé »,

– « Veillez à avoir des réserves de nourriture, carburant, eau, lampe-torche, vêtement »,

– « Si vous revoyez la même personne dans trois endroits différents, ce n’est pas du tout un hasard », etc.

« Une carapace d’humour noir »

Les astuces sont à la fois effrayantes et réconfortantes. « L’humour, et surtout le noir, aide à faire passer toutes ces horreurs », assure Toophyk. Il renvoie à une série de tweets publiés au moment des attentats contre « Charlie Hebdo » : « En Algérie nous avons vécu tellement d’horreurs similaires à la vôtre que l’on a développé une carapace d’humour noir blindé de cynisme », notait-il à l’époque. « Vous verrez, ça aide vraiment à tenir le coup face à la cruauté et a la barbarie de ce monde. » Avant de livrer une conclusion positive :

L’humour c’est comme les essuie-glaces : ça n’arrête pas la pluie mais ça aide à continuer à avancer. »

Amandine Schmitt