constructions inachevées: Les «hors-la-loi» prennent les APC d’assaut

constructions inachevées: Les «hors-la-loi» prennent les APC d’assaut

«Fermez la porte et ne laissez personne entrer !», ordonnait une dame de l’intérieur d’un bureau, visiblement submergé par le nombre de dossiers déposés depuis la matinée par des citoyens qui couraient dans tous les sens.

Une véritable course contre la montre avant que le délai les obligeant à régulariser leur construction n’arrive à terme. Dossier sous le bras, des centaines de citoyens se sont empressés hier à l’APC de Chéraga, à l’ouest d’Alger, et dans d’autres localités du pays pour se conformer à la fameuse loi N° 08-15. En demandant à rencontrer le responsable de l’urbanisme, on nous a indiqué de monter au premier étage de l’édifice abritant l’APC. Une fois sur les lieux, un long couloir nous conduit directement à l’intérieur d’une grande salle pleine à craquer de boîtes contenant des dossiers. Sur une partie de la pièce, on avait installé une table ovale sur laquelle une demi-douzaine d’agents recevaient les dossiers. C’est dans cette salle qui ressemble à une ruche de printemps, tellement les va-et-vient étaient incessants, que nous avons rencontré un promoteur immobilier, venu lui aussi, régulariser sa situation. «Le ministre Tebboune était clair dans sa dernière déclaration. Pour obliger les gens à se conformer à la loi, il avait fixé le 3 août comme dernier délai de dépôt des dossiers. Alors, comme tout le monde, je suis venu avec un dossier et j’attends mon tour pour le déposer. Je ne partirai pas d’ici sans le faire. Car, depuis ce matin j’ai assisté à des situations où des citoyens sont venus déposer leurs dossiers mais auxquels des documents manquaient. Ils ont demandé à revenir demain compléter leur dossier, mais on leur a dit que ce sera trop tard. Normalement, ce ne sera pas mon cas», a souhaité Amine M. Il avait à peine terminé de nous parler qu’une demoiselle l’appelle pour présenter son dossier.

Un échange de moins de cinq minutes

Pendant qu’un membre de la commission de réception des dossiers passait en revue les pièces soigneusement agrafées et rangées dans des chemises, Amine lui posait certaines questions, la voix à peine audible. Dans ce dialogue à voie basse, l’imperturbable demoiselle, quand elle répondait aux préoccupations de son «client», le faisait tout en continuant à feuilleter le dossier.

«Vous avez construit sans permis et votre construction est toujours inachevée», a-elle fait remarquer. «Selon la loi, vous devez arrêter les travaux pendant que la commission de daïra statue sur votre cas. Mais bon, si votre bâtisse n’est pas à démolir, on vous exigera d’achever les travaux», l’a-t-elle un peu rassuré quand même.

A sa sortie, Amine nous révèle que de toute manière sa bâtisse ne sera en aucun cas à démolir, puisque la «personne qui s’occupe des démolitions est un ami intime qui m’a en personne encouragé à construire», révèle notre interlocuteur avec un sourire narquois.

Dans la foulée, un autre citoyen s’est joint à notre discussion et expose spontanément son cas. Un exercice qu’on pourrait aisément considérer comme une ultime préparation à un plaidoyer pour une cause à défendre bec et ongles. «J’ai entre les mains un dossier qui représente les sacrifices de toute une vie», a argué Sid Ali. Il explique avoir mis toutes ses économies dans cette construction qu’il n’habite toujours pas. «J’ai acheté le terrain il y a dix ans avec un simple papier timbré, même si je savais que cela ne me procurait pas le droit de prétendre à un permis de construire. Je l’ai fait parce que je n’avais pas les moyens financiers me permettant d’acquérir un terrain avec acte de propriété et livret foncier étant donné qu’ils étaient tout simplement hors de portée. Maintenant que les autorités offrent une issue pour une régularisation de notre situation, je suis venu saisir cette opportunité», explique-t-il avec l’espoir d’être au bout de ses peines.

500 dossiers en une matinée

Après avoir écouté les aventures de certains individus, nous repassons voir le responsable du service urbanisme. Passant d’un bureau à un autre, il a fini par nous recevoir entre deux portes. «Il est vrai que c’est une journée chargée pour nous, mais je dirais qu’elle se déroule normalement», a-t-il estimé en annonçant que rien que pour la matinée ses agents ont reçu «à peu près quelque chose comme 500 dossiers». Or, de 2013 jusqu’à la déclaration du ministre, en date du 31 juillet, ils avaient reçu environ 4000.

Avant de quitter l’APC de Chéraga, nous avons demandons l’adresse des locaux du Service de l’urbanisme, de la construction et de l’habitat (SUCH). «Vous traversez la rue et c’est en face», nous a indiqué l’agent de sécurité.

Là encore, nous avons demandé à voir le responsable. «Il est actuellement sur le terrain. On ne sait pas quand il rentrera», nous répond une employée occupée à traiter des dossiers.

Demandant à garder l’anonymat, elle a expliqué que son administration n’a pas attendu le 3 août pour commencer à faire ce travail qui mène vers la régularisation.

«L’opération de régularisation se poursuit depuis des années déjà. Les dossiers que les citoyens déposent au niveau de l’APC nous parviennent à travers la daïra. Ensuite, nos équipes se déplacent sur les lieux pour faire un constat qu’on remet encore une fois à la daïra. Dans cette institution se forme une commission de daïra constituée des services d’urbanisme de l’APC, de nos services, de l’hydraulique, de Sonelgaz et de la Protection civile pour statuer sur chaque cas», a méthodiquement expliqué notre interlocutrice.

Entre crainte et espoir, cette catégorie de citoyens doivent attendre des mois avant de connaître le sort qui leur sera réservé. D’ici là, les plus «épaulés» d’entre eux chercheront des stratagèmes pour passer entre les mailles du filet.