Contribution : l’appel du MMLD du 14 juin 2019

Contribution : l’appel du MMLD du 14 juin 2019

L’Algérie vit une crise multidimensionnelle dont les racines remontent loin dans son histoire passée et récente. Le colonialisme destructeur et négateur de la personne humaine qui s’est attelé 132 ans durant a été défait au prix d’immenses sacrifices de dizaines de générations d’Algériens. La guerre de libération, pensée par une poignée  de jeunes militants déterminés à mener le pays vers sa libération. Dès l’été 1962 et cela contre les aspirations du peuple algérien et des instances légitimes de la révolution, La force « militaire » a pris le pouvoir dans la violence. La dictature militaire qui s’est installée aux commandes de l’Etat  s’est taillée un système de gouvernance à sa convenance : verrouillé, centralisé, clientéliste et négateur des libertés et de la personne humaine.

Dès l’indépendance, la Kabylie s’est insurgée et s’est battue pour l’avènement d’une vraie démocratie, respectueuse de la diversité, de la pluralité et protectrice des droits fondamentaux du peuple Algérien. L’insurrection du FFS de 1963 porteuse de tous les espoirs de la jeune nation algérienne fut immédiatement écrasée dans le sang par l’armée des frontières regroupée autour du clan d’Oujda, qui s’était préparée à la prise du pouvoir par la force durant toute la durée de la guerre de libération. Juin 1965 coup d’Etat, de Boumediene. Ben Bella, figure civile de la junte militaire est renversé.

Depuis, les coups d’Etat sont érigés en mode de succession, de gouvernance et d’expression politique dans le régime militaire. Il faut attendre la fin des années 1970 pour que les militants politiques, un temps brisés par le sérail, se relèvent et poursuivent dans la clandestinité la lutte pour l’avènement d’un Etat démocratique.  Avril 1980, fut le tournant décisif. Malgré la répression violente du pouvoir, la Kabylie s’est soulevée comme un seul homme pour briser le mur de la peur. Les événements d’Oran et Saida en 1982, ceux d’Alger et Laghouat en 1984, puis de Constantine et Sétif en 1986 ont été les épisodes les plus marquants, peut-être parce que les plus violents, dans l’évolution vers la rupture totale du 5 Octobre1988. Le régime forgé dans la violence opposait à chaque fois la force et la répression sans concéder grand chose aux revendications et aux pulsions de la société.

L’épisode de l’ouverture démocratique de 1990 fut rapidement refermé après les législatives de décembre 1991. Le régime totalitaire avait fait le lit de l’intégrisme islamiste qui s’est nourri de misère intellectuelle et sociale, menaçant l’intégrité de tout le pays. Le président Chadli chassé par un autre coup d’Etat militaire et Mohammed Boudiaf qui présidait le Haut Comité d’Etat, assassiné en directe parce que voulant s’attaquer aux racines du mal et donc au système politique conçu dans la violence, le clientélisme, la corruption et le régionalisme. L’islamisme politique, longtemps nourri à l’ombre des institutions, prolonge les malheurs du pays par une décennie sanglante, coûtant la vie à de milliers d’Algériens. L’Algérie ne s’est relevée que grâce à une résistance citoyenne héroïque.

Au printemps noir de Kabylie de 2001, des dizaines de personnes sont assassinées (127 morts et des milliers de blessés) par les corps de sécurité du régime (gendarmerie, police et services spéciaux). Ce douloureux épisode a fini par convaincre les plus optimistes que la solution est de passer vers un système politique nouveau. La plate-forme d’El-Kseur revendiquée par la Kabylie dans une mobilisation historique autour du mouvement citoyen, portait aussi le bien-être de tout le peuple Algérien. Mais sa satisfaction pleinement et entièrement est freinée par la nature dictatoriale du système politique, mais aussi par le caractère centraliste Jacobin de l’Etat algérien. La plate-forme d’El-Kseur mettait l’accent sur la primauté des instances démocratiquement élues sur les fonctions exécutives de l’Etat ainsi que les corps de sécurité.

Plus récemment, les événements du M’zab en 2013 avec leurs lots de désolation et de morts, confirment la nature violente du système et le besoin pressant de changement en profondeur.

Tout le long du mois de février 2019, avec le passage en force programmé par le pouvoir en place et l’oligarchie pour un cinquième mandat en faveur de Bouteflika ont provoqué une révolte citoyenne se propageant dans plusieurs villes du pays. Le 16 février 2019, l’insurrection citoyenne pacifique de Kherrata et de Khenchela ont eu un effet boule de neige  sur le reste du pays.

En effet depuis le 22 février 2019, on assiste à la révolution pacifique et populaire des Algériennes et Algériens. La jeunesse et les femmes très fortement mobilisées sont déterminées à reprendre le pays et leur avenir en main, ne lâchent pas le régime à bout de souffle. Il faut dégager ce système et tous ceux qui le représentent. L’impératif d’un changement radical du système de gouvernance est appuyé par des millions d’algériens dans toutes les rues du pays. La mobilisation ne faiblit pas, bien au contraire elle augmente malgré toutes les manipulations du pouvoir et ses relais.

  • Les perspectives et projet :

Les pouvoirs successifs algériens depuis 1962 ont totalement dilapidé les richesses nationales, déstructuré l’économie, désorganisé les institutions et dévitalisé la nation. L’Algérie est dans une phase critique et insoutenable à court terme, (La valeur de nos exportations n’arrive même pas à couvrir nos besoins les plus basiques en calories alimentaires, équipements et autres). Une économie rentière dépendant à 98% de la rente pétrolière fluctuante et déclinante va mener le pays à court terme vers une phase de blocage.

La situation de notre pays exige que tous les moyens soient mis en œuvre pour créer une large et forte alternative capable de défendre et de mettre en place une transition démocratique vers une nouvelle Algérie fondée sur la démocratie, les libertés individuelles et collectives, cultuelles ainsi que les droits de la personne humaine. La conjugaison des efforts de toutes les énergies peut faire reculer toutes les velléités de pérennisation de l’ancien système. Toute résistance aux aspirations de changements portés haut et fort par le peuple depuis plusieurs semaines ne fera qu’aggraver la situation. Les acteurs politiques, la société civile, le mouvement syndical et ceux qui œuvrent pour une rupture radicale avec  l’ancien système doivent conjuguer leurs forces pour imposer les actions et institutions exigées pour une véritable transition démocratique.

Une refonte du mode d’organisation politico-institutionnelle de l’Etat passe irrémédiablement par sa consécration constitutionnelle qui doit englober l’affirmation de la nature républicaine de l’Etat et sera garantie dans la société, par un cadre institutionnel adéquat conformément aux principes contenus dans la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen. C’est pourquoi notre responsabilité historique exige rigueur et lucidité pour ne pas succomber aux chants des sirènes que représente un simulacre de transition conduite par les acteurs du système pour le renouveau de ce dernier. Cela reviendra à dilapider ce capital en matière de mobilisation, de confiance et de cohésion, ce qui va participer à une régression historique de la société qui, historiquement, politiquement et socialement, a atteint la maturité nécessaire lui permettant d’assumer pleinement son combat démocratique et de le faire aboutir.

  L’Etat centraliste jacobin calqué sur le modèle du colonisateur français a conduit le pays à cette impasse historique.  La déconstruction graduelle de cet état centralisé au profit d’un Etat fédéral des régions est un impératif à même de garantir le sauvetage de la nation en péril. Ce passage obligé vers cette Algérie plurielle nécessite la mobilisation et l’engagement sans faille de toutes les forces saines pour la construction et la consolidation d’un cadre fédérateur capable de porter ce projet d’une Algérie nouvelle.  

Tizi-Ouzou, le 14 juin 2019                  

Pour Le MMLD

Hamid    MAAKNI