Comme c’est difficile de t’écrire aujourd’hui en sachant que tu es pris dans les geôles de la honte, toi et tous nos frères et sœurs, ainsi que notre glorieux doyen, Si Lakhdar. Je ne sais pas vraiment par quoi commencer, si ce n’est te faire part d’un sentiment intense de morosité, qui nous prend chaque jour depuis le début de ces arrestations. C’est si intense que ça rend l’écriture de cette lettre un peu difficile pour moi ; mais mot après mot, le cœur se livre, et les phrases se construisent, se suivent… Je t’écris avec tristesse, voire avec rage mais non sans espoir. Et c’est avec cette même ténacité révolutionnaire, qu’il est comme important de te dire, que tu n’es pas seul ni toi, ni les autres.
Si tu voyais les gens dans la rue cher frère, le visage indigné, mais toujours souriants et déterminés, le parfait reflet des algériens authentiques. Ce peuple que les livres ou les poèmes racontent…! Ce peuple qui a tant souffert et qui a été souvent piétiné, mais résistant, et d’une incroyable patience…! Aujourd’hui, ce ne sont plus de simples mots, ni le récit d’un illustre passé, il s’agit de la réelle représentation de notre peuple. Chaque semaine, je marche au milieu de tout ce beau monde, à petits ou à grands pas… Je ne fais que croiser dans des affiches ou des pancartes, ton visage, celui de Si Lakhdar, de Tabbou, de Leftissi, de Belaribi, de Samira et de tous les autres… Des slogans sont proférés, sommant votre libération. Ils résonnent dans ma tête, me torturent l’esprit, et sonnent comme un rappel à l’ordre au milieu de la foule qui chante… Comment peut-on nous martyriser encore ?
Si tu savais, cher Fodil, comment ils tentent vainement de museler encore nos voix, avec des méthodes révolues et un comportement souvent burlesque et indigne ! Indigne de l’algérianité dont nous connaissons les valeurs, celles ancrées et enracinées dans notre terre, celles de la liberté, de la solidarité, de l’amour du drapeau et du peuple…En somme, celles qui combattent l’injustice. Il est clair aujourd’hui, que nous sommes peut être tous nés algériens, que certains se sont construits au grès de ces valeurs, pendant que d’autres ont décidé de renier leur héritage.
J’ai toujours admiré tes prises de paroles, que ça soit en arabe ou en français, ta façon de manier le verbe, avec insistance sur les mots ; offrent un discours et un pragmatisme qui n’a jamais changé. En public ou en aparté, depuis le jour où je t’ai rencontré, il y a de cela 9 ans, rien n’a changé : même ligne de conduite, même esprit révolutionnaire et démocrate, mais surtout, le même rêve de voir une Algérie avec un Etat dont les outils seraient modernes, et en mesure d’affronter ce monde qui évolue si vite… Ou tout simplement, celui d’assister à la naissance d’une deuxième république algérienne. Un projet que tu abordes et que tu répètes depuis plus d’une dizaine d’années. Tu es sans doute, l’un des militants démocrates algériens les plus chevronnés de ces 20 dernières années, et dont l’Algérie a besoin pour se construire.
Le 1er novembre approche à grand pas, cette date qui symbolise la lutte de nos ainés pour nos libertés, arrachées dans le sang et le sacrifice, nous invite inévitablement à croiser ou à assimiler ce jour précieux de notre histoire, 65 ans après. Une chose est sure, le parfum de la liberté commence par se faire sentir, comme celui du jasmin entre les ruelles les plus étroites du pays. Un vent nouveau d’union populaire souffle fort sur les boulevards, certainement comme en 1954, et dont le vainqueur et les perdants, sont connus. Ton rêve de voir une 2eme république est désormais palpable.
Certains pensent qu’ils pourront sans doute stopper l’élan d’un révolutionnaire en marche, en emprisonnant, en divisant ou en opprimant médiatiquement, et de façon tristement dépassée ! Mais ils oublient qu’un esprit révolutionnaire ne s’arrête jamais, il est patient, il ne quitte pas, il ne meurt pas, mais ressuscite à chaque fois qu’il est opprimé. Au final, la révolution n’a ni de date, ni de limite dans le temps, et nous n’avons jamais arrêté, nous n’arrêterons pas, ni hier, encore moins aujourd’hui, ou demain !
La lutte pour cette Algérie meilleure se fera avec toi, avec vous tous qui êtes dans ces prisons dont les murs se fissurent chaque jour, et avec nous, qui sommes dans l’autre prison ; et dont le toit laisse entrevoir les premières lueurs d’espoir.
Je te transmets le salut de toute la camaraderie, à toi cher Fodil, et à tous les détenus politiques algériens.
Et comme chanterait Amine Chibane, « Libérez Zouaama »
Khaled Babaci
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