L’Algérie est-elle un pays où la corruption atteint des proportions particulièrement importantes ?
Il ne serait pas étonnant qu’un sondage – mais un sondage qui serait digne de ce nom, pas un de ces sondages frelatés et manipulateurs, faits sur mesure pour capter un maximum de publicité en flattant sa cible dans le sens du poil (on devinera à quoi il est fait allusion) – montrerait qu’effectivement une bonne majorité de nos concitoyens considèrent leur pays comme particulièrement corrompu. Il y a des chances toutefois pour que la même question posée à des citoyens d’autres pays, y compris de grandes démocraties, reçoive une réponse de la même eau.
Une enquête d’opinion sur ce thème devrait prendre soin de distinguer entre grande et petite corruption. L’opinion des gens sur un sujet donné réfère en effet soit à leur propre expérience, soit à ce qu’ils entendent dire autour d’eux. Il se peut que la plupart d’entre eux n’aient eu à pâtir que de la petite corruption (la dîme prélevée par la bureaucratie pour l’essentiel). Chacun comprend bien cependant qu’il n’y a pas seulement une différence de degré mais de nature entre les deux. Et les deux ne forment pas système comme on est parfois porté à le croire, en faisant de la petite une démultiplication de la grande, une métastase d’autant plus proliférante et microscopique qu’on s’éloigne des centres du pouvoir, la grande étant réservée à ce qui compte dans la société. La tendance à les embrasser toutes sous la même notion noie le poisson, ne sert pas à combattre le mal, bien au contraire.
Il faudrait donc bien voir ce que les Algériens entendent par corruption. C’est qu’elle peut prendre bien des formes.
Mais ce n’est pas de sondage qu’il s’agit ici, mais de l’idée reçue (peut-être vraie, peut-être fausse) que l’Algérie est l’un des pays parmi les plus corrompus au monde.
C’est ainsi en tout cas qu’elle est classée annuellement par Transparency, l’ONG de notation en la matière, dont une section, non reconnue par les autorités, existe localement. Elle est conduite par Djillali Hadjadj, journaliste à ses heures, comme chacun sait. Il travaillait pour El Watan, il en a été renvoyé, et sa réaction a été de protester en distribuant un tract, très modéré, à l’intérieur de la Maison de la presse, mais ce n’est pas ce genre d’informations que les journaux livrent à leur public. Ils font leurs grosses manchettes sur leur anniversaire, clamant alors, avec une forfanterie à peine concevable, qu’ils sont les plus grands et les meilleurs, mais motus et bouche cousue quand il s’agit de quelque chose susceptible de jeter sur certains l’un ou l’autre d’entre eux une lumière aussi crue que peu valorisante.
Transparency locale mène des enquêtes et pose des questions, et elle fait parvenir le tout à l’organisation mère, qui l’intègre dans le rapport annuel. Ce n’est pas la bonne méthode, parce que dans ce cas on est juge et partie. Il faudrait que ceux qui enquêtent ne soient pas ceux dont les idées sont toutes faites sur le sujet. Certes, Djilali Hadjadj et ses amis pourront répondre à cela en disant qu’ils ne demanderaient pas mieux, pour ce qui les concerne, que les choses se passent effectivement ainsi, mais que tant qu’ils ne pourront pas faire venir des enquêteurs de l’extérieur, ils sont bien obligés de faire comme ils ont toujours fait.
Soit. Mais d’où leur vient alors la certitude qui est la leur ?
La question se pose d’autant plus que la section locale de Transparency, qui voit la corruption partout, à tous les échelons et dans tous les secteurs, comme si elle disposait de taupes partout, n’a rien vu quand Khalifa dévalisait le pays ? Djilali Hadjadj en parle maintenant comme de l’affaire de corruption par excellence, celle qui, à elle seule, témoigne de la gangrène générale. Et pourtant, il n’a rien vu. Pas plus que les journaux qui font de la lutte contre la corruption leur cheval de bataille. Et Djilali Hadjadj voudrait qu’on le croit maintenant quand il dit qu’il voit tout, que rien ne lui échappe, et que ce qui s’offre à sa vue, c’est une sorte de mêlée générale où tout le monde a les mains dans les poches de tout le monde.
Disons à sa décharge que lui du moins n’a pas tressé des lauriers à Khalifa du temps où celui-ci était plongé dans l’accomplissement de son œuvre, contrairement aux journaux dont il se sent proche.
Ce ne serait pas un signe évident de corruption, ça ?
Par Mohamed Habili