Jamais l’Algérie n’a connu un climat politique comme celui sous lequel débute aujourd’hui la course officielle pour le scrutin présidentiel du 12 décembre prochain. Sur un terrain pacifique, mais manifestement hostile à ce rendez-vous, les cinq candidats qui s’y mesureront le feront avec du bon sentiment, mais à découvert au sens propre et figuré du terme. Ils vont entamer une campagne électorale jamais vue dans notre pays et au bout de laquelle l’incertitude sera
le grand favori.
PAR NAZIM BRAHIMI
C’est le coup de starter aujourd’hui de la campagne électorale qui met à l’épreuve l’option présidentielle, compte tenu du contexte politique dans lequel intervient cette échéance pour laquelle sont en course cinq candidats.
Ali Benflis, Abdelmadjid Tebboune,
Abdelkader Bengrina, Abdelaziz Belaïd et Azzedine Mihoubi sont ainsi attendus, à partir d’aujourd’hui, dans les quatre coins du pays pour défendre leurs candidatures respectives dans une compétition électorale, qui se déroulera vraisemblablement dans une ambiance peu ordinaire. Le mouvement populaire est passé par là et l’élection présidentielle a dû être reportée à deux reprises. Et c’est la première fois, depuis, que l’opération arrive à l’étape de l’entame de la campagne électorale. Cette campagne de crise verra ainsi le quintet de prétendants à la magistrature suprême solliciter, pendant 17 jours de campagne, l’adhésion des citoyens alors que la tenue même de l’échéance est désapprouvée par des pans importants de la société, qui expriment leur rejet de cette joute dans des manifestations publiques.
Le contexte ne manquera certainement pas de peser sur le contenu des sorties publiques des candidats, qui seront appelés à défendre, d’abord, l’opportunité de l’élection présidentielle avant même d’engager leurs offres politiques qu’exige une joute électorale du rang d’une présidentielle. L’ancien chef de gouvernement, Ali Benflis, familier de cette consultation électorale pour y avoir pris part deux fois en 2004 et 2014, est revenu sur la question avant même le coup d’envoi de la campagne. « Cette élection ne se tient pas dans des conditions idéales, cela je le sais. Mais je considère qu’elle représente la voie la plus courte et la moins risquée pour sortir l’Algérie de l’impasse politique provoquée par l’ancien régime. Je vais entamer ma campagne électorale avec détermination et conviction pour rencontrer les Algériens, pour débattre avec eux, y compris les adversaires de la présidentielle. Et le dernier mot reviendra aux Algériens », a-t-il répondu à une question à ce propos. Le candidat Abdelmadjid Tebboune dit, lui aussi, « ne pas ignorer le climat dans lequel va se dérouler cette présidentielle». Les appréhensions quant à l’existence d’une ambiance défavorable à la tenue de l’élection présidentielle ont été vérifiées plusieurs fois ces derniers jours dans certaines villes. Annaba, Constantine ont connu des scènes de tension entre les partisans du scrutin du 12 décembre et ceux qui s’y opposent. Hier, veille du coup d’envoi de la campagne, c’est la capitale de la Mekerra, Sidi Bel Abbès, qui a été, comme d’autres régions du pays, le théâtre d’une situation similaire qui a mis face à face les opposants et les partisans de l’élection, ce qui a failli créer une bataille rangée, n’était l’intervention des sages et la présence des éléments de la police qui ont dispersé les antagonistes. Ainsi, certaines localités à Batna, Tébessa, Oran et Bordj Bou-Arréridj ont vu des citoyens sortir sur la voie publique pour afficher leur adhésion à l’option présidentielle, ce qui n’est pas sans déplaire à ceux qui rejettent carrément le scrutin. Cette ambiance faite de marches et de contre-marches ne fait visiblement qu’alourdir la mission des prétendants tenus de faire face à un contexte électoral anormal.
C’est dire combien la particularité de ce scrutin et l’adversité qu’il peut susciter pèsent sur les cinq candidats engagés au nom de leurs partis politiques à l’exception de l’ancien Premier ministre Abdelmadjid Tebboune qui postule en candidat libre.
Elle pèse visiblement davantage sur les deux anciens Premiers ministres sous le règne de Bouteflika, Benflis (75 ans) et Tebboune (74 ans), qui jouent incontestablement leurs dernières chances pour accéder au poste de premier magistrat du pays.
Ce n’est pas le cas pour les trois autres prétendants, Mihoubi, Belaïd et Bengrina, qui peuvent rebondir, au vu de leur âge, dans le cas d’une contre-performance à l’heure du verdict des urnes.
Et contrairement aux précédentes consultations, le poids du contexte du présent scrutin relèguera au second plan certaines questions comme celle des programmes électoraux proposés par les candidats. Ces derniers se sont contentés, en effet, de discours au lieu et place de programmes et d’une offre politique digne d’un prétendant à la magistrature suprême. A l’évidence, les candidats, qui ont opté pour le sud du pays pour leurs premières sorties de campagne, ont du pain sur la planche, en se lançant dans une joute électorale mal venue pour les populations engagées dans le mouvement citoyen pour le changement. Les discours qu’ils développeront dans les quatre coins du pays et dans les médias doivent être à la hauteur de leur ambition de briguer la présidence de la République. Faute de quoi, c’est l’échéance qui en pâtira davantage, elle, qui souffrira vraisemblablement d’une désaffection populaire difficile à compenser en temps de crise de confiance entre le citoyen et l’autorité.