par Mahdi Boukhalfa
Après bien des hésitations, des réticences, la France va restituer, entre autres, les restes de résistants, tués et décapités par l’armée coloniale, entre 1850 et 1864. C’est le président Emmanuel Macron qui en a fait la promesse, lors de sa visite le 6 décembre dernier à Alger.
L’Algérie avait, à la suite de cet engagement du chef de l’Etat français, fait une demande officielle de restitution des crânes de ses résistants. Hier samedi, une nouvelle porte s’est ouverte pour clore définitivement ce dossier, avec les déclarations du président du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, Bruno David, qui a affirmé que (le Muséum) se tient «prêt pour accompagner le processus de restitution» des crânes de combattants algériens tués lors de la colonisation de leur pays par la France au XIXe siècle et conservés dans ses collections, affirme-t-il. Pour notre part, nous sommes prêts. Nous attendons les instructions du gouvernement, a-t-il ajouté. Après la visite de Macron à Alger, «un dialogue bilatéral a été engagé depuis sur ce sujet», a précisé de son côté vendredi le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. «Nous comprenons parfaitement la nécessité de ces restitutions, étant donné le contexte historique», déclare Bruno David, selon lequel «ces restes humains sont entrés dans nos collections d’anthropologie à la fin du XIXe siècle à la suite de différents épisodes liés à la conquête française de l’Algérie». Sur les 18.000 crânes du monde entier (dont celui du philosophe Descartes) conservés au musée, «une liste de 41 crânes identifiés provenant d’Algérie» a été «transmise à l’Elysée», explique par ailleurs Bruno David, selon lequel il y a parmi eux, «à la fois des résistants, des Algériens ayant combattu avec les Français mais aussi possiblement des «droits communs». «Pour le moment, nous avons pu établir que sept crânes sont, de manière indubitable, ceux de résistants algériens», indique M. David. Il y a notamment ceux du cheikh Bouziane, chef de la révolte de Zaâtcha (est de l’Algérie) en 1849. Capturé par les Français, il est fusillé puis décapité.
Il y a aussi le crâne de l’un de ses lieutenants (dont la tête est momifiée). Ils sont entrés dans les collections du Muséum en 1880. Il y a également le crâne du célèbre Mohammed Lamjad ben Abdelmalek, dit chérif «Boubaghla», fusillé et décapité en 1854. «Après les combats, ces crânes étaient considérés comme des «trophées de guerre» par les militaires», rappelle Alain Froment. «Des dizaines d’années plus tard, ces crânes ont été donnés au Muséum par des médecins militaires désireux d’élargir la connaissance de la diversité humaine», ajoute-t-il. D’autre part, le Musée de l’Homme a établi que six autres crânes étaient ceux d’Algériens ayant combattu aux côtés de l’armée française, et décédés de maladie.
Enfin, «il y a 28 crânes qui nécessitent un approfondissement de leur identification», souligne Bruno David. «Parmi eux, il est possible qu’il y ait des détenus de droit commun mais aussi des gens morts à l’hôpital et également des résistants algériens», dit-il. Le Musée de l’Homme est un musée de France dont les collections sont inaliénables. Ces crânes lui ayant été donnés, ils ne peuvent sortir des collections nationales que grâce à une loi que la France va préparer.
Aux origines de l’affaire des crânes de résistants algériens
L’histoire des crânes de résistants algériens envoyés comme pièces archéologiques au musée d’histoire naturelle de Paris a été dévoilée pour la première fois en 2011 par l’historien et archéologue Ali Farid Belkadi. «Nous lui avons ouvert nos inventaires, dans un souci de transparence», explique Alain Froment, ancien responsable des collections de restes humains au Musée de l’Homme, une partie du Muséum où sont conservés ces restes d’Algériens. Il avait notamment déploré que les crânes soient «calfeutrés dans de vulgaires boîtes cartonnées, qui évoquent les emballages de magasins de chaussures».
Mais, le président du Muséum Bruno David explique qu’»il s’agit de boîtes spécifiquement destinées aux collections et coûteuses». «Ces crânes sont rangés dans des armoires fermées à clef, dans des salles fermées à clef. En outre, dès mon arrivée à la tête du Muséum fin 2015, j’ai décidé que l’on n’aurait plus le droit de voir ces crânes, par respect pour ces restes humains identifiés». C’est cette année-là, en 2011, après avoir découvert et approfondi l’origine et l’histoire particulière de la présence de ces crânes de résistants au Musée de l’Homme du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, qu’il lance une pétition pour leur restitution à l’Algérie. C’est le début en fait d’un long combat pour le rapatriement de ces restes mortuaires des résistants algériens contre la colonisation française. Selon des déclarations de Belkadi à la presse nationale, c’est Victor-Constant Reboud, historien et militaire, qui fit parvenir au Muséum de Paris les restes mortuaires des principaux chefs de la résistance algérienne. «Il le dit dans une lettre publiée dans la Revue Africaine», précise Belkadi, selon lequel ce sera, plus tard, G. Cuvier qui donna le coup d’envoi de la collecte de vestiges humains algériens pour le Muséum. Selon l’historien algérien, il y aurait en tout 68 crânes d’Algériens au Muséum parisien. Il s’agit de ceux des principaux chefs de la résistance, comme Boubaghla, Al-Titraoui, Al-Hamadi, cheikh Bouziane des Zaatcha, Moussa Al-Darkaoui, Boukedida de Tébessa, d’autres encore. «Parfois de simples anonymes. Un fœtus dans un bocal.
La tête d’une jolie petite fille de 7 à 8 ans, selon une lettre de l’époque, fut expédiée au Muséum de Paris dans du formol. Parmi les têtes, figure celle d’un jeune guerrier de la tribu des Hadjout, des environs d’Alger, tué le 7 mars 1839. Il était âgé de 17 ans», poursuit Belkadi dans un récent entretien à TSA. «Les restes que j’ai pu identifier dans la -collection algérienne- du Muséum de Paris s’élèvent au nombre de soixante-huit (68), selon un nouveau décompte que j’ai établi à la demande du ministère des Moudjahidine qui doit s’occuper du rapatriement de ces restes mortuaires». Depuis la pétition lancée en 2011, beaucoup de militants associatifs, des écrivains français et algériens, Benjamin Stora, Pascal Blanchard et Mohammed Harbi, ont demandé le retour de ces restes en Algérie.
Des historiens, des politiques des deux pays avaient engagé des actions et des campagnes de sensibilisation pour la restitution des crânes de résistants algériens à leur patrie. Mais, il fallait un décret officiel, et une demande officielle de restitution, pour qu’une telle éventualité puisse se réaliser, comme cela avait été le cas de crânes de guerriers Maori de Nouvelle-Zélande, que la France avait restitués après la promulgation d’un décret présidentiel. Le 3 janvier dernier, l’Algérie demandait alors officiellement à la France la restitution des crânes de ses résistants, conservés depuis près de deux siècles au Musée de l’Homme de Paris, ainsi que la récupération des archives de 1830 à 1962. Deux demandes ont été adressées en ce sens mercredi 3 janvier dernier au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
Quant à la demande sur la restitution des crânes, elle a été cosignée par le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, et le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, alors que celle concernant les archives a été signée par M. Messahel. Tous les éléments du dossier étant «prêts », le président français Emmanuel Macron devrait accélérer la procédure en envoyant un texte de loi à l’Assemblée nationale française.