ALGER – Les Soudanais qui exigent de l’armée la remise du pouvoir au civil, ont entamé dimanche un mouvement de « désobéissance civile » dans un climat de tension croissante marqué par la violente dispersion le 3 juin, d’un sit-in à Khartoum qui avait fait des dizaines de morts et suscité l’indignation dans le monde.
Lancée par les chefs de la contestation contre le Conseil militaire de transition (CMT) quelques jours après une grève générale de 48 heures, la campagne nationale de « désobéissance civile » a été marquée au premier jour, par des tirs de gaz lacrymogènes contre des manifestants qui tentaient d’ériger des barrages routiers à Bahri, quartier du nord de la capitale, selon des médias.
La circulation automobile était, par ailleurs, réduite dans la capitale alors que les transports en commun semblaient absents. La plupart des commerces sont restés portes closes, d’après des correspondants de presse sur place.
Le trafic aérien a été également touché par le mouvement de désobéissance civile. De nombreux passagers attendaient dimanche matin devant l’aéroport, selon la même source.
La « grève générale » et la mise en place de barricades sur les routes sont les principaux outils de la « désobéissance » évoqués par l’Association des professionnels soudanais (SPA), qui fait partie de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation.
Les contestataires sont déterminés plus que jamais à poursuivre leur mouvement jusqu’à l’instauration d’un pouvoir civil. « La désobéissance civile et la grève générale sont nos moyens pacifiques pour arracher notre droit à la vie face à la barbarie des milices », a déclaré la SPA dans un communiqué.
Pour la SPA, la désobéissance civile constitue « un acte pacifique capable de mettre à genoux le plus puissant arsenal d’armes au monde ».
Forte tension après la « violente répression » de lundi dernier
Le SPA accuse le CMT de la « violente répression » qui s’est abattue sur le pays depuis la dispersion sanglante du sit-in installé devant le QG de l’armée à Khartoum, le lundi 3 juin.
Le « massacre » de lundi dernier, vivement condamné par la communauté internationale, et d’autres incidents survenus aussi le 3 juin, ont coûté la vie à 115 personnes, selon un bilan du comité de médecins proche de la contestation. Le gouvernement conteste ce bilan et avance le chiffre de 61 morts.
Des milliers de personnes campaient devant le QG de l’armée, lieu emblématique de la contestation, depuis le 6 avril, dans le prolongement d’un soulèvement populaire inédit déclenché le 19 décembre.
Après la destitution par l’armée du président Omar al-Bachir le 11 avril, les manifestants ont réclamé le départ des militaires et le transfert du pouvoir aux civils. Mais les négociations entre contestation et militaires ont été suspendues le 20 mai, faute d’accord.
Dans une tentative de trouver une issue à la crise soudanaise, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a effectué une visite à Khartoum en guise de médiateur entre la contestation et le Conseil militaire de transition.
Le Premier ministre éthiopien avait appelé à une transition démocratique « rapide », après avoir rencontré le président du CMT, le général Abdel Fattah al-Burhane, et plusieurs chefs de la contestation.
« L’armée, le peuple et les forces politiques doivent faire preuve de courage et de responsabilité en prenant des actions rapides vers une période de transition démocratique et consensuelle dans le pays », avait déclaré M. Ahmed dans un communiqué.
Les négociations entre les parties en conflit ont été suspendues le 20 mai, chaque camp voulant prendre la tête de cette transition. Durant la visite vendredi du Premier ministre éthiopien, les militaires se sont dits « ouverts aux négociations » mais l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC) a opposé des conditions dont une enquête internationale sur le « massacre » du sit-in.
Par ailleurs, la situation au Soudan continue de susciter la préoccupation de la communauté internationale. L’Union africaine (UA) a exhorté samedi les acteurs étrangers à éviter toute ingérence au Soudan.
L’appel urgent a été lancé par le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, dans un communiqué dans lequel il a souligné la nécessité de trouver « des solutions élaborées par le Soudan » à la crise politique en cours dans le pays.
Pour sa part, l’Union européenne (UE) a exhorté le CMT à « cesser immédiatement les actes de violence et à mener à une enquête crédible et sérieuse sur les actes de violence orchestrés contre les manifestants ».
Et la Ligue arabe a appelé les parties soudanaises à éviter toute action susceptible d’entraîner « une escalade de la tension » et à ne pas s’écarter de la voie pacifique nécessaire à la bonne conclusion du processus de transition politique dans le pays.