La politique de la gestion par l’offre doublée de transferts sociaux à la fois inconsidérés et non ciblés ne peut produire d’autres comportements que le gaspillage là où la ressource est disponible.
Le décalage entre le calvaire des pénuries récurrentes d’eau dans le pays profond subi par les populations avec les discours officiels qui s’appuient sur une alimentation acceptable des grandes villes et agglomérations pour décréter que les pouvoirs publics sont venus à bout du manque d’eau potable est flagrant. Cette approche de la gouvernance qui s’apparente à la méthode Coué masque le vrai problème à savoir que note pays est situé dans une région de stress hydrique et que la gestion durable de la ressource passe impérativement par la maîtrise de la demande. Car pendant que les autorités alignent des chiffres comme des trophées de guerre que seuls les initiés peuvent apprécier, les pages de la presse quotidienne, pour ce qu’elle peut rapporter, sont garnies par le spectacles des enfants qui transportent des jerricans d’eau, l’envolée des prix des citernes livrées par les camions et les protestations voire des affrontements entre quartiers ou villages que la gestion de la rareté de la ressource oppose.
Petite revue de quelques grosses soifs du mois de juillet
Au mois de juillet, Liberté écrit dans un article intitulé “Les habitants de Tebessa ont passé l’Aïd sans eau” : Les appels de désespoir lancés par les habitants, privés d’eau depuis le début de la saison estivale, et les démarches auprès de l’Algérienne des eaux de Tébessa n’ayant pas été entendus, les habitants ne savent plus à quel saint se vouer. La colère va jusqu’à accuser les autorités en affirmant que “les familles aisées [quartiers résidentiels] sont alimentées le plus normalement du monde alors que les autres sont obligés de payer les citernes d’eau à 2 000 DA l’unité”. À Tizi Ouzou, “l’ADE n’arrive plus à assurer ses engagements… a relevé la commission chargée de l’hydraulique de l’APW de Tizi Ouzou, avant d’énumérer une série de causes montrant que la wilaya ne souffre pas du manque de ressources mais plutôt de gestion et distribution de l’eau. Le président de la commission, Ladaouri Ramdane, cite la vétusté des réseaux, le taux de déperdition qui avoisine 60% et … la mise hors service de 40 forages à cause de l’extraction illicite de sable”. À Sétif, “les pénuries d’eau touchent tout le territoire. Les habitants sont contraints de s’approvisionner avec des bidons aux sources ou aux camions-citernes. Pourtant, la ville de Sétif est une référence mondiale en termes de pluviosité…. Toutefois, les pouvoirs publics promettent d’en finir avec le phénomène d’ici 2017”.
À Annaba “depuis que ce n’est plus la commune qui gère directement l’alimentation en eau, nous sommes approvisionnés en moyenne une fois tous les 10-15 jours …. Depuis le début du Ramadhan, plus une goutte ne coule de nos robinets, alors que nous disposons de sources dans la région”. À Constantine, selon un communiqué de la Seaco “ce problème d’approvisionnement est dû aux nombreuses interventions effectuées … depuis le 7 juillet dernier pour la réparation de fuites signalées sur les tranches A, B et C de Djebel Ouahch en passant par Ziadia et La Bum. ….Le communiqué de la Seaco ne précise pas la cause de ces fuites qui se multiplient depuis la fin du mois de Ramadhan, surtout au niveau de Djebel Ouahch où des travaux de branchement à une nouvelle conduite ont été réalisées il y a à peine quelques mois”. À Oran, “des quartiers d’Oran et d’Aïn El Türck vivent une pénurie dramatique en eau potable depuis 7 jours aujourd’hui. …Les propriétaires de citernes à eau, quant à eux, mettent les prix trop haut, pour 1500 litres, négociée entre 1000 et 1500 DA, voire plus. À Aïn El Türck, les saisons estivales riment ‘volontairement’ avec coupures d’eau pour alimenter des quartiers habités par de hauts responsables et ce au détriment d’autres”. Force est de constater qu’on peut multiplier ces situations à la plupart des régions. La première quinzaine de ce mois d’août ne fait pas exception. Bien au contraire.
L’impossible équation d’une disponibilité sans limites
Les lourds investissements entrepris pour la collecte des eaux de ruissellement et le captage des ressources renouvelables (forages) sont à renforcer. L’apport d’usines de dessalement est inévitable et la maîtrise de la technologie dans ce domaine est plus une nécessité même si le choix de stations surdimensionnées qui impactent lourdement l’environnement, par une surconsommation d’énergie-forcement fossile dans ce cas- et des rejets moins maitrisables, est plus que discutable. Le problème est qu’on ne viendra jamais à bout de “la pénurie d’eau” en l’absence d’une politique de maitrîse de la demande. La politique de la gestion par l’offre doublée de transferts sociaux à la fois inconsidérés et non ciblés ne peut produire d’autres comportements que le gaspillage là où la ressource est disponible. Dans certaines villes où l’eau coule H24, le gaspillage est énorme mais ce n’est pas qu’un problème moral.
Les pertes énormes dans les réseaux, leur vétusté dans certaines régions et l’absence de raccordements dans d’autres sont autant de raisons qui privent des populations entières de ce liquide vital. Mais les inégalités socio-spatiales ne peuvent être vaincues par de simples transferts de ressources, aussi gigantesques soient-ils, vers des régions moins pourvues. Il convient d’ériger l’eau en ressource stratégique qui a un coût. L’accès à l’eau comme un droit fondamental du citoyen n’est pas synonyme d’une jouissance illimitée mais de mécanismes économiques qui concrétisent ce droit et assurent le renouvellement et la disponibilité par la facturation au niveau des prix de revient des autres sollicitations à des fins de confort ou de processus de fabrication de plus-values.
Des pays du Moyen-Orient, beaucoup moins pourvus en ressources hydriques arrivent, par une politique vigoureuse de la gestion de la demande à concilier la nécessité de pourvoir aux besoins incompressibles des populations et d’entretenir un afflux de touristes très regardant sur la disponibilité de l’eau. Gérer la demande repose sur le fait que les quantités d’eau disponibles ne peuvent augmenter alors que la demande en eau ne peut que croître en raison de la croissance démographique, de l’élévation du niveau de vie et de la nécessité de gagner des terres sur le désert (démographie, infrastructures, agriculture…). Il faut donc une politique qui régule la demande en fonction de l’offre. Le péril imminent auquel doit faire face le pays est le stress hydrique. C’est simple, nous sommes dans la liste des 30 premiers pays dans le monde qui auront à affronter de graves pénuries en eau d’ici 2040. C’est une donnée de la nature, aggravée par le réchauffement climatique que les décideurs politiques doivent mettre en avant pour amorcer une politique de gestion de la demande au lieu de laisser les gestionnaires du secteur, ministres et directeurs, collectionner des promesses sans lendemains.