Limiter le déversement d’eaux usées non traitées dans la nature permet non seulement d’épargner des vies et de renforcer les écosystèmes sains, mais contribue aussi à une croissance durable.
Le Rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau (WWDR pour World water development report)) intitulé “Eaux usées : une ressource inexploitée” a été présenté le 22 mars 2017, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, dans une conférence de haut niveau à Durban, en Afrique du Sud. L’objectif est d’informer les responsables politiques et les décideurs, tant au sein de la communauté de l’eau qu’à l’extérieur, sur l’importance de gérer les eaux usées comme une ressource et comme une source durable d’eau, d’énergie, de nutriments et d’autres sous-produits réutilisables, plutôt que comme une chose dont il faut se débarrasser ou un désagrément qu’il faut ignorer. C’est l’Unesco, en tant qu’agence de l’ONU, qui héberge ce programme.
Ce rapport exhorte à “un recours plus systématique à une eau recyclée”. Plus précisément, l’organisation onusienne estime que “l’eau qu’on boit, celle qui irrigue les champs ou alimente les usines avant d’être rendue à la nature, il va falloir la considérer autrement. Car partout, elle est un bien sous pression”. Pour rappel, nous avons traité dans la page environnement de notre édition du 13 mars de l’importance du recyclage des eaux usées.
Nous avons en particulier mis en relief le fait que “notre pays, en proie à un sévère stress hydrique, appelé à s’aggraver avec le réchauffement climatique, les eaux usées traitées peuvent soulager l’allocation de la part d’eau affectée à l’agriculture ou pour la recharge des nappes souterraines pour aider à leur renouvellement. Pour toutes ces raisons, notre pays ne peut faire l’économie de la construction d’un dispositif performant dans le domaine. Selon le rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau des Nations unies 2017, la plupart des activités humaines produisent des eaux usées, et plus de 80% des eaux usées dans le monde sont rejetées dans l’environnement sans traitement”. Limiter le déversement d’eaux usées non traitées dans la nature permet non seulement d’épargner des vies et de renforcer les écosystèmes sains, mais contribue aussi à une croissance durable.
Un constat implacable
En juillet 2010, une résolution des Nations unies a fait de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement un droit de l’homme. Pourtant, un milliard de personnes dans le monde n’a pas accès à l’eau potable et une sur trois n’a pas accès à des toilettes. L’absence d’assainissement de l’eau représente une des plus grosses menaces globales, selon le Forum économique mondial. “Les industries, l’agriculture et l’urbanisation qui se développent très rapidement pourraient ainsi épuiser les ressources d’eau d’ici 2030, et mettre en péril le développement économique, la stabilité politique et la santé de nombreuses populations”.
La demande explose et elle pourrait augmenter de 50% d’ici à 2030 alors que la ressource se raréfie déjà dans certaines parties du monde, à commencer par notre région.
C’est à une véritable “révolution culturelle” à laquelle les rédacteurs du rapport aspirent. “Dans la Station spatiale internationale, le matin, l’eau est consommée avec du thé, l’après-midi elle devient de l’urine et le lendemain elle sert à se raser… Il s’agit de la même eau depuis des années !”, déclare Richard Connor, professeur à l’université du Michigan et rédacteur en chef du rapport. Pour l’état sur “terre”, les eaux souillées sont à 80% rejetées dans la nature sans traitement : à 92% en moyenne dans les pays sous-développés et à 30% dans les pays riches.
Démographie et pollutions
Nous savons que la proportion des prélèvements hydriques destinés à l’espace urbain ne représente en moyenne qu’environ 12%. Comparé aux 70% consommés par l’agriculture, cela paraît de moindre importance. Mais les impacts sont dévastateurs, surtout avec l’explosion démographique et son lot de “bidonvilisation”, en particulier sur notre continent (62% des urbains en Afrique subsaharienne sont logés dans des bidonvilles), elle ne cesse d’augmenter en nombre d’habitants. “Lagos, capitale économique du Nigeria, est une ville qui génère 1,5 million de mètres cubes d’eaux usées par jour avec ses 18 millions d’habitants.
Le tout sans système d’égouts centralisé. En dehors des fosses septiques, l’essentiel des rejets des ménages de la plus grande ville d’Afrique ruisselle dans des caniveaux ouverts jusqu’à la mer. Et la population pourrait atteindre 23 millions d’individus en 2020” (Novethic.fr). Pour l’Amérique latine, l’état des lieux est aussi alarmant. La même source ajoute qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes, 86% des habitants seront des citadins d’ici à 2050. Le traitement des eaux souillées ne représente encore que 20 à 30% du total. Sur un autre plan, le rapport préconise des solutions décentralisées moins coûteuses et faciles à gérer dans la durée.
Stations d’épuration et systèmes de lagunage n’ont pas forcément besoin d’être performants pour produire de l’eau potable, comme à Singapour, à Windhoek en Namibie, ou à San Diego aux États-Unis.
Une pratique volontariste qui reste marginale
De même “on ne pourra pas résoudre le problème global avec des mégasystèmes centralisés comme avait pu en construire l’ex-Union soviétique, dont certains sont devenus obsolètes. Nous voulons dire aux bailleurs de fonds internationaux qu’il existe d’autres solutions”, ajoute le professeur Richard Connor. En attendant, les dégâts sont dévastateurs sur l’environnement. “Les pollutions diverses charriées par les fleuves jusque dans les océans affectent la santé humaine, la faune, la flore, la qualité de l’eau douce”. En effet les multiples solvants, les hydrocarbures de l’industrie, les traitements agricoles (azote, phosphore et potassium, pesticides…) sont responsables de la dégradation des milieux marins (eutrophisation) et de l’extension des zones mortes.
Ces dernières s’étendent sur 245 000 kilomètres carrés. “Environ un septième de tous les cours d’eau d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine sont déjà contaminés par une pollution organique grave, en constante augmentation”.
Le rapport de l’ONU estime que 2,4 milliards de personnes dans le monde n’ont toujours accès à aucun équipement correct et plus d’un milliard d’humains défèquent toujours en plein air. “Près d’un tiers des rivières en Amérique latine, en Asie et en Afrique, mettant la vie de millions de personnes en danger”, sont contaminées par les pathogènes.
Le rapport conclut aussi sur les opportunités offertes aux investisseurs par l’exploitation des eaux usées. Dans ce registre le phosphore, extrait aujourd’hui dans des mines, pourrait être épuisé dans une centaine d’années.
Dans le même temps, 22% de la demande mondiale pourrait être extraite en recyclant les excréments humains. Il y a aussi des potentialités d’investissement pour récupérer l’azote, produire du biogaz à partir des boues des stations d’épuration. Les auteurs du rapport mettent l’accent sur les changements d’esprit qui doivent être opérés pour faire face à une crise grave. Ne dit-on pas que l’eau, c’est la vie !